La légende bretonne

 

SOUVENIR DU SIÈGE DE PARIS.

 

 

En ces temps on disait par toute la Bretagne :

Le roi casqué, le roi que la mort accompagne,

Vient, de longs flots de sang inondant le pays,

À travers la Province assassiner Paris.

 

Et dans le château riche, et dans la pauvre ferme,

On entendait partout ces mots : « Paris, sois ferme,

Là-bas sont les labeurs, les dangers, les combats ;

Nous, Bretons, à Paris, allons offrir nos bras.

 

Mères, il faut partir ! Ne pleurez pas, à mères !

Le devoir ne veut pas de vos plaintes amères ;

Mais plutôt, invoquant la Madone à genoux,

Avant de nous quitter, Mères, bénissez-nous. »

 

Et, retenant ses pleurs, chaque mère bretonne,

Digne des défenseurs que la Bretagne donne,

Disait : « Nous nous sentons de taille, allez, enfants,

Et nous vous bénirons, ou morts, ou triomphants ! »

 

Et le départ venu, contenant leurs alarmes,

Les mères refoulaient leurs douleurs et leurs larmes ;

Et le cierge à la main, et, pieds nus, en plein jour,

De Sainte-Anne-d’Auray faisaient trois fois le tour.

 

Un mois, deux mois passés sans nouvelles, la dame

De Kérouartz, aux soucis sentant fléchir son âme,

Attend le messager et, lui tendant les bras :

Messager, dites-moi, qu’avez-vous vu là-bas ?

 

J’ai vu, dame, j’ai vu devant la grande ville.

Cent mille hommes au casque, et puis encore cent mille ;

Mais j’ai vu, prêts au choc, fiers devant les canons,

Au milieu des enfants de France, nos Bretons :

Sur le fleuve, Bretons ; Bretons à la muraille ;

Bretons, prêts pour le jour de la grande bataille.

 

Qu’avez-vous encore vu, messager ? dites-moi.

J’ai vu, le casque en tête, esclaves d’un vieux roi,

Du siège, à Châtillon, calculant la durée,

Des hordes d’Allemands, âpres à la curée,

Qui contemplant de loin Paris, lâches vautours,

Comptaient ce que la faim peut tuer tous les jours.

 

Mais devant Châtillon, au pied de la montagne,

Dane, voici venir les hommes de Bretagne,

Enlacés en faisceaux, durs comme nos granits,

Front haut, et ne comptant jamais leurs ennemis.

 

L’éclair luit, le canon gronde, la terre tremble ;

Nobles et paysans au choc volent ensemble.

J’ai vu, dame, frappé votre fils Julien,

Frappé, mais non tué ; car, vous le savez bien,

Sur les champs du pardon, ainsi qu’aux champs de guerre,

Un coup ne suffit pas pour les jeter à terre,

Nos gars ; votre fils vit, madame, ayez la foi.

 

Qu’avez-vous encore vu, messager ? dites-moi.

 

J’ai vu dans la grand’ville, à deux pas des batailles,

Le mot Fraternité s’étaler aux murailles.

Mais les Bretons, aussi, l’ont écrit dans leur cœur :

C’est le mot qu’en mourant prononça le Sauveur.

Le Breton frappe dur ; mais lorsqu’un ami tombe,

Il court à lui, bravant la mitraille et la bombe,

L’emporte, et, l’embrassant dans un suprême adieu,

Lui parle du pays, de sa mère et de Dieu.

Que si l’heure a sonné, si la mort veut sa proie,

Voici les derniers mots que le Breton envoie :

 

À l’ombre d’un calvaire, auprès de vous, là-bas,

Le pauvre enfant breton ne reposera pas.

Mais ne le pleurez point ; car, du soldat qui tombe

En sauvant son pays, Dieu bénira la tombe.

 

Dites-moi, messager, qu’avez-vous entendu ?

 

Des Bretons qui disaient : luttons, rien n’est perdu :

Tant qu’en France on verra se ruer l’Allemagne,

On verra s’élancer, du sol de la Bretagne,

Bretons, Bretons encore et Bretons plus nombreux,

Pour venger leurs amis, ou pour mourir pour eux.

 

 

 

NAUDET,

ex-Volontaire de l’Ouest.

 

Paru dans la Revue historique, littéraire

et archéologique de l’Anjou en 1874.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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