La fileuse à la croix

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Raoul de NAVERY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I

 

 

CHÉKA.

 

 

Comme, dans tout le pays, il n’était pas de fille plus belle et plus sage que Chéka, celle-ci ne tarda point à devenir l’objet de l’attention et des rivalités. Deux garçons du village s’efforcèrent surtout de la convaincre de la sincérité de leur passion : ce furent Brudo et Yrgolin. Brudo cultivait son champ, mince héritage qui lui permettait de vivre sous un seigneur que les hasards de la guerre entraînaient sans cesse loin de sa demeure. La cabane de Brudo était petite, mais elle pouvait suffire à un jeune ménage. Chéka y fut conduite un matin de printemps, tandis que les églantiers épanouis emplissaient l’air de leurs parfums. Le laboureur parla longuement et doucement à la jeune fille ; lui jura de se montrer bon et patient, car elle était douce et timide ; et le soir de ce jour, Chéka, repassant dans sa mémoire les paroles de Brudo, ne demandait pas mieux que de les croire. Mais au moment même où elle sentait qu’elle allait se prononcer en faveur du laboureur, Yrgolin le bûcheron s’arrêta devant la porte de l’orpheline. C’était un homme de haute taille, d’une force prodigieuse, et qui passait sa vie à abattre des chênes dans les grands bois. Ses traits étaient beaux, mais son regard manquait de franchise.

Il avait relevé jusqu’à l’épaule les manches de son costume de toile bise et, sa hache sur l’épaule, sa rude chevelure flottant en crinière sur son dos, il s’avança vers Chéka, qui filait :

– Il est temps de vous prononcer, lui dit-il ; vous êtes à la fois belle et sage ; la mort de vos parents vous laisse sans appui, sans ressources...

– J’ai mon fuseau, répondit la jeune fille.

– Faible moyen de gain, Chéka, en comparaison d’une cognée... Si vous le voulez, les bras que voici abattront pour vous tous les arbres de la forêt. Je possède la taille et la force d’un géant, et celle qui deviendra ma femme ne manquera jamais de rien.

– Vous vous trompez, Yrgolin, répondit la jeune fille, elle manquerait de la plus puissante des consolations. Point n’entrez prier dans les églises, et d’aucuns l’affirment, vous reniez votre baptême comme les Turcs, que Dieu confonde !

– Je vous laisserai prier, Chéka.

– Peut-être... Mais quand même vous me permettriez de suivre ma religion, votre conduite impie raillerait ma foi, et je ne passerais pas un jour sans m’effrayer à votre sujet. Assez d’autres jeunes filles habitent autour de la ville de l’empereur Albert, que Dieu garde ! Laissez la fileuse à sa quenouille et retournez dans les grands bois.

– Vous me refusez, Chéka, vous me haïssez ?

– Dieu ne me permet de haïr personne ; je vous refuse parce que j’ai la certitude que vous me feriez beaucoup souffrir.

– Vous mentez ? s’écria brutalement Yrgolin ; vous me tenez en mépris parce que vous comptez épouser Brudo.

– Cela ne regarde que moi, lui et Dieu.

– C’est votre dernier mot ?

– Le dernier.

– Vous vous repentirez, Chéka !

– On ne se repent que du péché.

Cette scène, dont Chéka garda une impression pénible, la décida à hâter son mariage. Le chapelain du château l’unit à Brudo.

Le soc et le fuseau suffisaient pour amener au logis une aisance modeste, et Chéka se trouvait heureuse. Le souvenir d’Yrgolin s’était presque effacé de son esprit quand, revenant un jour de l’office, elle aperçut à la porte d’une taverne son mari et le bûcheron. Celui-ci s’approcha sans embarras de la jeune femme, lui raconta son excursion en Bohême, et lui demanda si elle acceptait de partager le dîner qu’il venait d’offrir à Brudo.

– Merci, répondit-elle ; je rentre avec mon mari.

– Non point ! répliqua Yrgolin ; je garde Brudo, ou je le déclare indigne du nom d’homme, et bon tout au plus à tenir vos écheveaux de lin.

Le laboureur eût préféré reconduire Chéka chez elle ; un faux amour-propre le retint. Il ne voulut point qu’on pût le croire sous la dépendance de sa femme, et celle-ci partit seule. Au milieu de la nuit, Brudo rentra ivre, titubant, ignoble, et Chéka pleura pour la première fois depuis son mariage.

Elle hasarda le lendemain de timides reproches ; le laboureur, revenu à la raison, s’excusa, promit de ne plus retomber dans une pareille faute. Mais aux champs Yrgolin vint le trouver et le décida à le suivre à la ville pour y souper. Le bûcheron avait-il trouvé un trésor ou détroussé un voyageur ? Nul n’aurait pu le dire : mais les florins tintaient dans son escarcelle et il les changeait joyeusement contre de la bière ou de l’hypocras. Pendant toute la nuit Brudo, alléché par l’espoir d’un gros gain, remua les dés avec frénésie, et, quand le matin parut, n’osant pas regagner sa demeure, il s’en alla à son travail après avoir donné rendez-vous à Yrgolin.

En un mois le bonheur de Chéka fut perdu sans retour. Le faible caractère de Brudo plia sous la domination malsaine du bûcheron.

La malheureuse créature épuisa tous les moyens de persuasion pour ramener à elle son mari ; la foi de celui-ci, sapée par les blasphèmes et les discours impies du bûcheron, semblait avoir sombré à jamais dans son âme. Yrgolin, qui remuait si aisément jadis les florins, se trouva subitement au dépourvu, et ce fut Brudo qui, à son tour, paya les liqueurs enivrantes. Quand il manqua d’argent il en demanda à Chéka. La malheureuse fila le jour et fila durant les nuits, jusqu’à avoir les lèvres brûlantes et les doigts ensanglantés. Elle filait pour ne pas entendre résonner à son oreille la voix terrible de Brudo, pour ne pas sentir son corps broyé sous les coups.

Elle devint blanche comme la neige et faible à mourir. Mais Dieu, la jugeant assez éprouvée, lui envoya une consolation inattendue. Dans cet enfer descendit un ange, et le jour où la fileuse pria près du berceau de Moda, elle se crut sauvée du désespoir et forte contre la douleur.

La naissance de cet enfant coïncidant avec le départ du bûcheron, une sorte de trêve fut donnée à la jeune femme. Si dégradé qu’il fût déjà, Brudo se sentit remué. Il se prit à regarder longtemps l’enfant débile, dont le visage reproduisait vaguement la beauté suave de Chéka quand elle avait seize ans et qu’elle s’épanouissait à la vie sans prévoir quels orages la briseraient un jour. Brudo cessa de battre la pauvre martyre, dont l’enfant devenait le bouclier. La fileuse essaya de ramener à Dieu et au devoir l’égaré qui semblait comprendre l’odieux de sa conduite, et elle se flattait d’y réussir, grâce aux premières caresses de Moda, quand le bûcheron reparut au village.

Il reprit son influence sur le mari de la fileuse, et celle-ci devint d’autant plus à plaindre que l’enfant, qui croissait en âge, paraissait déjà comprendre l’odieux de la conduite paternelle et tremblait de terreur quand Brudo, qui passait souvent plusieurs jours hors de chez lui, y rentrait ivre et à demi fou.

Jamais cependant Chéka n’accusa Brudo devant Moda ; elle s’efforçait, au contraire, de lui conserver la tendresse et le respect de son fils.

Hélas ! elle devenait bien faible, la pauvre Chéka, le fuseau tournait encore dans ses doigts diligents, mais sa taille frêle se courbait, tandis que celle de Moda prenait une force juvénile.

– Un soir Brudo rentra fatigué, morne, assez las ou assez malade pour ne maltraiter personne. Il se jeta sur son lit et y resta sans mouvement jusqu’à ce que, vers le milieu de la nuit, il appela Chéka et lui demanda à boire.

– J’ai la poitrine en feu, dit-il, il me faut tout de suite un breuvage capable de me soulager.

Chéka jeta des simples dans un vase d’eau bouillante et présenta un gobelet rempli de cette tisane à Brudo, qui se tordait, en proie à d’atroces douleurs.

Un quart d’heure après il cria de nouveau :

– J’ai une fournaise en moi !... À boire !... à boire !...

La miséricordieuse Chéka s’empressa autour du malade, qui put enfin reposer vers l’aube. Quand il s’éveilla il essaya de se lever, mais il retomba sur sa couche et poussa un gémissement dans lequel s’étouffa un blasphème.

Vers midi son mauvais ange, Yrgolin, apparut dans la cabane. Il ne parut voir ni Moda ni sa mère, s’assit à côté du lit de Brudo, critiqua la façon dont Chéka avait préparé le breuvage, remua les fagots d’herbes sèches composant ses uniques remèdes, fit boire un gobelet de tisane à Brudo, puis il sortit en jetant sur la pauvre femme un singulier regard.

Les souffrances du paysan recommencèrent d’une façon alarmante. La fièvre brûlait son sang, le délire s’emparait de son cerveau. Il souffrait dans tous les membres, et sa femme conçut de telles angoisses, qu’elle envoya Moda chez le chapelain du château ; la chrétienne ne voulait pas que l’homme dont elle avait subi tant de traitements odieux expirât sans s’être réconcilié avec le ciel. Avec le prêtre il semble que le calme eût dû pénétrer dans la maison. Mais Brudo, le voyant entrer, se dressa sur son lit et cria, en entr’ouvrant ses grossiers vêtements :

– Toutes les flammes de l’enfer nie brûlent !... Je ne souffrirai jamais davantage !... Dieu soit maudit !... pour me condamner à de semblables tortures !

Et s’emportant de plus en plus, ivre de rage, et sous l’empire d’un délire mortel, Brudo fut pris d’un accès terrible auquel succéda brusquement une torpeur dont il devint impossible de le tirer.

– Priez, Chéka ; prie, Moda, mon enfant ; priez et pardonnez tous deux, dit le prêtre.

– Que la Vierge de Marbre le sauve ! messire chapelain, et je lui porterai un gros cierge.

Hélas ! la pensée ne devait plus traverser le cerveau atrophié du joueur et de l’ivrogne ; des spasmes, un cri étranglé, un regard effaré se fixant dans le vague, et ce fut tout : Brudo était mort.

Chéka prit son meilleur drap, ensevelit le cadavre, mit une croix sur le cœur qui avait renié Dieu ; puis, tombant à genoux, elle pria en pleurant le Seigneur d’avoir pitié de l’âme qui venait de remonter vers lui.

 

 

 

 

 

II

 

 

ACCUSATION.

 

 

Tout à coup Moda tressaillit ; le bruit d’une foule agitée, courant, parlant, criant, le tira de sa rêverie, sans troubler la prière de sa mère. Les noms de Brudo et de Chéka se confondaient dans une clameur, et les hommes, les femmes, les enfants, se pressaient autour d’un personnage austère représentant la justice dans la juridiction des comtes de Listin. Moda, respectant la douleur de sa mère, marcha vers la porte, l’ouvrit et se plaça sur le seuil les deux bras étendus afin d’interdire l’entrée de la chambre mortuaire à ceux qui paraissaient songer à l’envahir.

Tout le monde connaissait, estimait et chérissait le jeune clerc ; aussi à son aspect la foule laissa échapper une exclamation de pitié.

– Que voulez-vous, messire ? demanda l’adolescent au magistrat.

– Votre père est mort ?

– Hier, oui, messire, et ma mère prie à côté de sa dépouille.

– Mon enfant, répondit le juge d’une voie adoucie par la pitié, nous avons un mandat à remplir.

– Chez nous ?... Ma mère n’est point en état de vous entendre, messire ; elle prie Dieu et pleure son mari.

– Il n’y a point d’heure pour la justice.

Moda s’effaça, laissa passer le juge et ses greffiers puis, touchant doucement l’épaule de Chéka :

– Mère, dit-il, mère, courage.

Le magistrat fixa des yeux scrutateurs sur le visage de la veuve ; une sorte d’indécision se traduisit sur sa physionomie. Après avoir étudié la tremblante créature qui se tenait debout devant lui :

– Pourquoi priez-vous pour celui qui fut votre bourreau ?

– J’obéis à la loi de la miséricorde.

– On sait dans le pays avec quelle dureté se conduisait Brudo à votre égard. Vous vous êtes montrée patiente, et si, dans une heure d’égarement, vous avez souhaité la délivrance, vous avez été poussée à bout.

– Je n’ai pas même demandé la délivrance dont vous parlez... La volonté de Dieu soit faite en toutes choses !

– Découvrez le visage du mort, reprit le juge.

– Seigneur ! que voulez-vous voir ? répondit Chéka ; le malheureux a trépassé dans d’horribles souffrances...

– On le dit, ajouta le mire, qui se rapprocha vivement de la misérable couche.

La veuve essaya d’empêcher le magistrat de dévoiler la face convulsée du trépassé ; mais Moda, avec un geste plein d’autorité, rabattit le drap sur la poitrine du mort et attendit.

– Oui, répéta le mire, il a beaucoup souffert... De quoi se plaignit-il, surtout ?

– Il criait sans repos : J’ai soif !... ma poitrine est une fournaise !...

Tandis que le mire écrivait sur ses tablettes, le juge ouvrait le bahut, dérangeait les vases de grès placés sur la table, et trouvant une écuelle renfermant le reste d’un breuvage préparé pour Brudo, il la passa au médecin qui le goûta avec précaution, fit un geste significatif et posa l’écuelle de hêtre sur le bahut.

Le juge continuait son investigation. Derrière une grossière statuette de la vierge, il découvrit un paquet d’herbes médicinales.

– Que dites-vous de ceci ? demanda le magistrat au mire.

– Cet homme est mort empoisonné ! répondit le mire ; empoisonné à l’aide du suc des plantes que vous tenez dans votre main.

– Empoisonné ! s’écria Chéka, empoisonné !... Je n’ai jamais cueilli ces herbes ; j’ignorais leur existence dans la maison... Cela n’est pas, cela est impossible, messire juge. Qui donc aurait commis le crime ? qui donc aurait envoyé avant l’heure ce malheureux devant le tribunal de Dieu ?

Le juge regarda la veuve avec une obstination persistante, puis il lui répéta :

– Vous étiez malheureuse ; Brudo, joueur et débauché, vous battait et vous dérobait, pour ses orgies, le produit de votre travail ?

– La paix soit aux morts ! répondit Chéka ; je suis chrétienne et j’oublie.

– Vous êtes femme et vous vous êtes vengée.

– Moi, Seigneur ! moi, comment ? de qui ? Je ne comprends plus !... Ma tête est faible... j’ai beaucoup pleuré, messire juge... Le Sauveur, mis en croix pour le salut des hommes, sait que mon cœur est en paix...

Moda s’élança vers la veuve :

– Ma bien-aimée mère, dit-il, non, vous ne pouvez comprendre, mais je devine, moi !... On vous accuse d’avoir empoisonné votre mari, on vous accuse d’avoir tué mon père !... Vous êtes une sainte, on veut faire de vous une martyre !...

Chéka tendit les bras vers le juge :

– Est-ce vrai, dites, messire, est-ce vrai ?

– Vous avez été dénoncée par Yrgolin.

– Alors je suis perdue, répliqua la fileuse ; cet homme a sur ma vie une influence terrible... Il détourna Brudo de sa maison ; il lui donna de dangereux exemples... Il m’avait bien dit, quand j’ai refusé de l’épouser, qu’il me ferait expier mes mépris... Il tient cruellement parole.

– Yrgolin assumerait sur lui une responsabilité terrible.

– Il ne croit pas en Dieu, et peut-être pense-t-il que Satan le garde !

– Vous jurez que vous êtes innocente ?

– Je le jure devant le cadavre du père de mon enfant.

– C’est bien, la justice poursuivra. En attendant la fin du procès, vous serez conduite en prison.

Un sanglot souleva la poitrine de la fileuse.

– Lourde, bien lourde est ma croix ! dit-elle ; mais le Seigneur lit dans mon âme, et il me viendra en aide.

Moda se jeta dans les bras de Chéka.

– Je crois en toi, dit-il, et je t’aime !...

– Alors qu’importe le jugement des hommes, dit la veuve ; j’ai pour moi Dieu et mon enfant.

On l’entraîna garrottée jusqu’à la prison seigneuriale, et, en dépit de ses instances, Moda ne put obtenir qu’on le retînt captif en même temps que sa mère.

L’instruction du procès fut rapide. Les accusations formelles d’Yrgolin se trouvaient appuyées par le genre de mort de Brudo, l’intérêt que Chéka avait à en être délivrée et la découverte des plantes vénéneuses.

Moda, qui n’avait point obtenu l’autorisation de voir sa mère, allait de la demeure du juge à celle du chapelain ; puis il revenait s’asseoir en face des fenêtres grillées de la prison.

Le chapelain n’oubliait point l’infortunée ; il priait pour elle et faisait prier les habitants du village. Enfin Chéka fut prévenue que le lendemain elle passerait en jugement. Le prêtre alla voir Yrgolin et lui demanda, au nom de son salut, qu’il retirât son accusation ; mais le misérable répéta, au milieu de blasphèmes, que la mort de la veuve serait le juste châtiment de son crime.

La pauvre créature, assise sur une poignée de paille, regardait se lever le jour qui devait éclairer son triomphe ou voir se consommer l’œuvre d’iniquité de son ennemi. Elle avait tant pleuré qu’elle n’avait plus de larmes. Tout à coup une expression de joie ranima subitement son visage ; elle venait de se souvenir que maintes fois dans ses causeries du soir Moda, lui racontant de saintes légendes, lui avait parlé de la chapelle vénérée de la Vierge de Marbre. Ce fut comme une inspiration et, s’agenouillant, elle dit à haute voix :

– En présence des anges qui m’écoutent et pour honorer la Vierge miraculeuse dans la passion de son divin fils, je fais le serment, si j’échappe à la condamnation dont je suis menacée, de passer désormais à filer tous les fours de ma vie et d’amasser le gain de mon labeur pour faire construire sur la route allant de Vienne à Bade un monument destiné à témoigner des miracles de Notre-Dame.

Chéka avait un caractère simple et doux, il lui sembla que son vœu montait au ciel ; elle retomba sur sa couche et s’endormit. Elle sommeillait encore vers dix heures, quand le guichetier l’éveilla en lui disant d’une voix brutale :

– Messires les juges vous attendent.

La veuve se leva et suivit le guichetier.

 

 

 

 

 

III

 

 

LE FER JUDICIAIRE.

 

 

Une grande foule remplissait la salle du tribunal. Éblouie par une clarté subite, Chéka ne distingua rien au premier moment ; mais elle vit bientôt, et presque à la fois, le grand crucifix dominant la table autour de laquelle se trouvait les juges et Moda fixant sur elle un regard rayonnant de tendresse.

Peu de gens parmi ceux qui connaissaient la veuve la croyaient coupable ; mais les amis de Brudo, les taverniers, les compagnons dévoués d’Yrgolin, accusaient l’infortunée. Les questions qui lui furent adressées reproduisirent d’une façon presque identique son interrogatoire sommaire. Chéka répondit avec la même tranquillité, mais sans rien gagner sur l’esprit des magistrats. Tout concourait pour l’accuser. On trouvait chez elle le cadavre d’un homme empoisonné et les plantes ayant servi à la perpétration du crime. On la savait malheureuse ; après avoir souffert longtemps elle s’était révoltée contre la douleur et avait rendu une mort foudroyante en échange du long martyre qu’elle subissait depuis près de vingt ans. Chéka ne se défendait plus avec l’espoir de convaincre les magistrats. Elle finissait par s’abandonner à son sort. Mais Moda, son cher et bien-aimé Moda, qui l’aimerait quand elle serait partie !

L’opinion des juges fut unanime et Chéka s’entendit condamner à mort.

Elle se leva très-pâle, mais fort calme :

– Messires, dit-elle, j’ignore les lois ; mais il me semble avoir entendu dire que lorsqu’un accusé, protestant de son innocence, se trouvait en face d’un témoin dont la déposition devait le perdre, il avait le droit d’en appeler à Dieu.

Je demande donc l’épreuve par l’eau, par le fer ou par le feu, et, sûre d’avoir le Seigneur pour moi, j’attends de sa bonté le triomphe de mon innocence.

En entendant ces paroles le peuple battit des mains.

Non-seulement cette demande était un hommage rendu à Dieu, mais elle promettait un de ces spectacles dont les foules se montrent cruellement avides.

Les juges délibérèrent un court moment ; puis, le premier des magistrats se levant, prononça ces mots d’une voix solennelle :

– Dans son désir de vous voir justifiée, la justice agrée votre demande : vous êtes admise à subir l’épreuve du fer rouge, que vous devrez prendre dans vos mains et porter autour de la place disposée pour le jugement de Dieu. Si vous sortez victorieuse de l’épreuve, celui qui vous accusa faussement et méchamment, subissant la peine de sa calomnie, sera branché haut et court jusqu’à ce que la mort s’ensuive.

– Merci, messire, dit la fileuse en tendant ses bras liés vers le crucifix.

Mais en ce moment Moda, quittant sa place, bondit dans l’enceinte du tribunal. Ses yeux brillaient d’enthousiasme et sa voix vibrait sous l’impression d’un sentiment héroïque quand, s’adressant au magistrat, il lui dit en désignant la fileuse :

– Regardez-la ! regardez-la bien cette accusée qui fut une épouse patiente, une mère tendre, une fervente chrétienne... Les longues privations subies par elle, les souffrances intimes, l’effroi qui a succédé à la perte de mon père, la rendent incapable de soutenir l’épreuve qu’elle réclame. Mais cette épreuve, que ses souffrances et sa débilité rendent impossible, un autre peut la subir à sa place, et cet autre, messire, ce sera moi !

– Vous ? répéta le juge avec une surprise mêlée d’admiration.

– Moi ! répéta le jeune homme avec une généreuse exaltation ; moi, son fils !

Une longue exclamation s’éleva dans la salle :

– Bien parlé, Moda !... longue vie à ta mère !...

– Messires, dit le chapelain en s’avançant, l’épreuve à laquelle sont soumis les accusés n’est pas inutilement appelée jugement de Dieu. Moda fait appel à la justice du ciel, accordez la requête de Moda.

– Mon enfant ! mon enfant ! murmura la mère éperdue.

Moda tomba à genoux devant Chéka.

– Ma cause est juste, dit-il, daignez me bénir.

La malheureuse femme posa ses mains sur le front de l’adolescent.

– Ah ! dit-elle, tu me payes de quinze années de tendresse. Mais je ne puis...

– Prenez garde, ma mère ! fit Moda en se relevant, on va croire que vous tremblez pour moi.

Puis couvrant de pleurs et de baisers les mains de la fileuse :

– Yrgolin vous a calomniée d’une façon infâme : il appartient au fils de rendre à sa mère la couronne d’honneur à laquelle elle a droit.

– Moda ! Moda !... Le fer judiciaire ! répétèrent cent voix.

– Acceptez-vous ? demanda le premier des juges.

– J’accepte ! répondit l’accusée la main étendue vers le Christ.

– Or donc, poursuivit le juge en se levant, à la fin de la semaine, et après avoir invoqué le Seigneur, la foule, conviée sur la grande place, assistera à l’épreuve judiciaire imposée à Chéka pour se laver du crime dont on l’accuse. Son fils est reçu en qualité de champion au nom de la sainte Trinité. Si Moda porte dans ses mains sans se brûler une barre de fer rouge, Chéka sera publiquement déclarée innocente.

Une acclamation de la multitude accueillit ces paroles.

– De plus, reprit le juge, si l’accusé sort victorieux de l’épreuve à la grande confusion d’Yrgolin qui nous a dénoncé la mort de Brudo, en nous apprenant qu’il avait succombé à un empoisonnement, Yrgolin, convaincu de calomnie pouvant entraîner la mort, sera remis aux mains du maître des hautes œuvres.

En dépit de son audace, Yrgolin ne put s’empêcher de pâlir.

– Persistez-vous dans votre déclaration ? reprit le juge.

– Oui, répondit Yrgolin d’une voix troublée.

– Messires juges, dit le chapelain, laissez faire la justice de Dieu.

Après avoir une dernière fois serré son fils sur son cœur, Chéka fut ramenée dans son cachot.

Dès le lendemain, les charpentiers s’occupèrent à tout disposer pour l’heure solennelle.

La grande place fut entourée de pieux ; une corde énorme servit de barrière afin d’empêcher les spectateurs de trop s’approcher ; un vaste échafaud, tendu de riches étoffes, fut disposé pour les habitants notables du pays, le populaire devait se tenir rangé décemment contre les poteaux ceints de fortes cordes de chanvre.

 De toutes les personnes portant intérêt au châtiment du coupable qu’allait désigner le ciel, il n’en était pas de plus tranquille que Moda : celui-ci attendait avec impatience l’heure assignée pour l’épreuve, car il avait hâte de serrer sa mère entre ses bras ; mais il n’éprouvait ni crainte ni trouble.

Enfin le matin du jour fixé se leva. Dès l’aube une foule compacte environnait l’autel de la petite église : on venait prier pour le fils de la fileuse.

Celui-ci se confessa avec humilité, reçut l’Eucharistie, puis il demeura dans la chapelle, attendant que le son des trompettes et le bruit plus sourd des cloches l’avertissent qu’il pouvait entrer dans la lice judiciaire.

L’échafaud drapé de rouge pliait sous le poids des spectateurs ; une foule considérable se massait derrière la barrière de cordes et de pieux. Dans les entretiens animés auxquels le jugement à intervenir donnait lieu, les avis divers s’échangeaient. Mais si les opinions différaient, presque tous les curieux faisaient des vœux pour l’héroïque Moda. L’éclat des trompettes, le glas des cloches, les juges, vêtus d’écarlate, s’avancèrent en grand appareil et prirent place dans le champ judiciaire. Enfin parurent des hommes d’armes soutenant, plutôt qu’ils ne l’accompagnaient, Chéka vêtue d’un habit de deuil et chargée de chaînes. Peu après on vit s’avancer le chapelain sa main droite sur l’épaule de Moda, vêtu d’une sorte de sayon blanc laissant voir ses bras entièrement nus... Il souriait, l’héroïque Moda, et son premier regard chercha sa mère.

Le juge fit jurer à Moda, la main sur l’Évangile, qu’il ne portait sur lui ni pacte ni maléfice, qu’il n’avait point de connivence avec le diable et s’en remettait à Dieu.

– J’ai pour moi le Christ et mon bon droit ! répondit le fils de Chéka.

À la même question, qui lui fut adressée d’une façon aussi solennelle, Yrgolin répondit qu’il persévérait dans son accusation.

Tandis que le champion de Chéka et l’ennemi mortel de la veuve remplissaient la formalité du serment, le bourreau achevait de lier une corde neuve à la haute potence dressée en face du réchaud dans lequel ses aides faisaient rougir une énorme barre de fer.

La foule ne quittait plus des yeux Moda, qui écoutait les pieux encouragements du prêtre ; ses regards s’efforçaient de rassurer Chéka, mourante d’angoisse et sur le point de défaillir.

Enfin le bourreau descendit de son échelle ; la barre de fer était d’un rouge vif, à peine adoucie par de légères cendres blanches.

– Tout est prêt, dit-il.

Le prêtre devança Moda, leva la main et dit à voix haute :

– Je bénis le fer judiciaire, le fer de l’épreuve ! Que, pour la gloire de la Trinité sainte et de madame la Vierge, il reste inoffensif dans les mains du champion de l’innocence.

Moda rejoignit le chapelain et tendit les bras en avant.

Le bourreau saisit avec des pinces le fer incandescent et le plaça dans les mains de Moda. La fileuse cacha ses yeux sous ses doigts crispés et cria :

– Pitié ! je demande qu’on me tue !

Et la foule debout, battant des mains, répondit :

– Los à madame la Vierge !... Louange à l’enfant privilégié !...

L’adolescent faisait lentement le tour de l’arène, le front haut, le sourire aux lèvres, sans paraître lassé du poids de l’énorme barre de fer ; il la portait toute rouge sur la paume délicate de ses mains.

La multitude l’acclamait en pleurant ; et quand Moda, ayant accompli son épreuve, jeta sur le sol le fer judiciaire et courut se prosterner devant sa mère, l’attendrissement de la foule fut sans bornes.

Les femmes jetèrent aux pieds de l’enfant, qui détachait les chaînes de l’accusée, des fleurs, des bijoux, des escarcelles gonflées d’or. La foule était si occupée de les fêter, qu’elle oublia le coupable, et ce fut seulement quand les premiers moments d’attendrissement et d’admiration furent calmés que l’on se souvint d’Yrgolin.

Alors le bourreau le montra au sommet de la potence : il avait le visage tuméfié et paraissait porter sur la face, avec les vestiges d’une atroce souffrance, les stigmates d’un tardif remords.

 

 

 

 

 

IV

 

 

LE MONUMENT.

 

 

À partir du jour où Chéka fut ramenée dans sa cabane, la vie, qui pour elle avait été une si rude école, changea tout à coup d’aspect. La conduite de Moda inspira une si grande sympathie, que le dévouement de tous les braves gens lui fut acquis. Il profita de la bonne volonté de l’un deux pour se faire admettre chez un maître imagier. Connaissant le vœu de sa mère, l’adolescent souhaitait de s’y associer dans la mesure de ses forces. Tandis qu’il creusait la pierre, façonnait le bois, pétrissait la glaise, il rêvait au monument qui s’élèverait un jour sur la route de Bade à Vienne.

Son crayon ingénieux en esquissait l’ensemble, en dessinait les détails. Il mettait dans ses études une passion qui l’aida rapidement à triompher des premières difficultés. Son maître répétait qu’il irait loin ; ses camarades l’estimaient sans l’envier, et quand Moda réussissait une figure naïve destinée au portail d’une chapelle, ses compagnons disaient en souriant :

– Il est inutile que nous cherchions à lutter contre Moda ; les mains qui portèrent la barre de fer rouge sont des mains bénies !

Nul ne jouissait plus des succès du jeune homme que Chéka. Le souvenir des jours mauvais s’enfonçait pour elle dans une nuit lointaine ; elle priait sans amertume pour l’âme de Brudo, et sa charité allait jusqu’à implorer la miséricorde divine en faveur d’Yrgolin.

La cabane de la veuve avait pris un aspect riant. Souvent Moda obtenait de son maître l’autorisation de travailler dans l’enclos entourant la maison. À l’ombre de quelques arbres il maniait la scie et le maillet, trouvant dans l’entretien, dans la présence de sa mère un encouragement et une inspiration. Pendant que son fils créait des figures de saintes et de martyrs, Chéka, assise sur une escabelle, filait sans relâche, entassant écheveaux sur écheveaux. On ne tarda point à savoir dans la ville que la mère de Moda avait promis de consacrer le produit de son travail à l’érection d’un monument pieux ; des dames de haute lignée, de riches commerçants s’adressèrent à elle. Sur son fuseau habile s’enroulait du fil assez fin pour qu’on en pût tisser les linges de l’autel. Nul ne marchandait son travail ; on aurait cru commettre un crime en discutant les prix de celle qui sacrifiait tout à l’accomplissement de son vœu.

Bientôt autour de la maison s’entassèrent des blocs de pierre. Chaque fois que la veuve touchait le prix de son salaire, elle faisait apporter une pierre nouvelle ; et, si fatiguée qu’elle fût, la vue de ce granit lui rendait du courage.

Mais qu’étaient ces masses informes sans l’outil de l’ouvrier, le ciseau de l’artiste ? À partir du jour où Moda se sentit capable de travailler seul, il divisa sa vie en deux parties égales : l’une occupée à des ouvrages payés largement par les prieurs d’abbayes ou les maîtres de châteaux ; l’autre consacrée à l’œuvre maternelle. Enfin, il acheva le plan de la croix commémorative de l’épreuve judiciaire, et Chéka, émerveillée, se pencha sur un dessin qui lui fit verser des larmes de contentement. Ce croquis représentait un monument haut de trente-six pieds, d’une forme élégante, élevant ses arcs légers vers le ciel. À l’abri de niches ogivales, des figures représentant Dieu le Père, le Sauveur, la Mère douloureuse et des scènes de la Passion se dressaient sur des piédestaux. Le monument reposait sur trois marches de pierre, où les fidèles pourraient s’agenouiller.

Cependant Chéka devenait bien faible ; plus d’une fois elle tomba, laissant échapper son fuseau. À demi évanouie, et sentant que sa vie s’en allait comme vacille la clarté d’une lampe prête à s’éteindre, elle répétait :

– Seigneur, laissez-moi seulement achever l’œuvre !...

Et, reprenant sa tâche, elle filait encore, elle filait toujours.

Sur la route de Vienne à Bade, les trois marches du monument se trouvèrent posées ; le soubassement à larges contreforts sortit de terre ; les ogives apparurent sur cette base ; il fut permis de voir lentement, progressivement se creuser les niches et s’effiler les clochetons. Tandis que les économies de Chéka soldaient le labeur des ouvriers, les statues s’achevaient dans le rustique atelier du jeune imagier : elles semblaient vivre d’une vie surnaturelle. Jamais artiste ne mit une part plus grande dans son âme, dans son labeur, que ne le fit Moda en créant ces célestes figures. Quand le soir, à la clarté adoucie de la lune, le fils et la mère, la main dans la main, contemplaient ces statues baignées de lueurs indécises ou noyées dans l’ombre du feuillage, ils se croyaient transportés dans un monde à part, et plus d’une fois ils s’imaginèrent voir les mains de pierre de ces images se lever lentement pour les bénir.

Les assises montaient, les statues bienheureuses peuplaient le verger de la veuve : ses doigts tremblants tournaient encore le fuseau, et les florins pleuvaient dans son escarcelle. Mais son souffle devenait haletant, son regard fiévreux ; Chéka s’épuisait chaque jour davantage.

Le mire consulté affirma qu’elle n’avait pas longtemps à vivre si elle continuait à filer ; mais elle n’en poursuivit pas moins son labeur.

– Il reste encore à payer la croix qui couronnera la fine toiture, ô mon fils ! Dieu permettra que je complète le poids du fil attendu par le tisserand.

– Jacobi a offert cent fois de travailler sans salaire.

– Dieu lui tiendra compte de cette pensée généreuse ; mais j’ai promis de gagner en filant le salaire des ouvriers.

Un soir Chéka s’évanouit au pied de la croix. Ce fut dans les bras de son fils qu’elle revint au sentiment de la vie.

– Ah ! chère et cruelle mère ! – s’écria Moda.

– Quel beau songe ! répondit la fileuse. Je me trouvais transportée dans les jardins du paradis ; assise sur un trône de lis, la Vierge filait, envoyant au loin sur les brises d’automne les fils de soie tombés de sa quenouille, et que les enfants poursuivaient sur les buissons. De chaque côté de Marie se tenaient deux fileuses saintes par leur vie, grandes par leur héroïsme, et dont tu m’as lu les légendes... la Bergère de Nanterre, qui osait discuter avec le Fléau de Dieu, et la Pastoure de Vaucouleurs, dont le bûcher fut dressé en France il y a quelques années. Et moi je m’avançais entre deux anges graves et doux, tremblante à l’idée du jugement, et tenant dans mes mains mon fuseau et ma quenouille, les yeux fixés sur Marie.

– Voici ma fileuse ! dit la Vierge.

Elle fit un signe aux deux saintes et mes pauvres vêtements se trouvèrent remplacés par une robe magnifique.

– J’habille ainsi mes fidèles ! ajouta madame Marie.

Un grand concert éclata, puis, les nuages se déchirant, j’aperçus le monument élevé à la gloire du Sauveur sur la route de Vienne à Bade... Les anges le couvraient de fleurs effeuillées et balançaient des vases d’or remplis de parfums. Et dans les cantiques des vierges, dans le chant des anges, revenait le nom de ta mère, ô mon fils bien-aimé ! de ta mère qui, ressuscitée dans la gloire du Sauveur, s’appellera m paradis la Fileuse à la Croix.

Moda éclata en sanglots, souleva la veuve dans ses bras et l’emporta en courant.

Pendant plusieurs jours il fut impossible à Chéka de quitter son lit ; le prêtre ne chercha pas à rattacher son âme à la terre, il se contenta de lui parler de Dieu et de sa vision.

– Je vivrai encore quelques jours, dit la veuve, car la croix du faîte n’est pas encore payée !

Dès qu’il lui fut possible, Chéka se traîna vers le monument, s’assit sur les marches et reprit sa quenouille.

Pendant la journée le maçon vint poser la croix couronnant le grand Calvaire et y attacher un bouquet. La veuve puisa dans son escarcelle de cuir, en tira les pièces de monnaie, les compta péniblement, puis les remettant à l’ouvrier :

– Le compte y est-il ?

– Oui, Chéka, et les balances du Seigneur ne sont pas plus justes.

– Alors, c’est fini !... bien fini !... Agenouille-toi, Moda, ta mère te bénit ; ta mère te rend grâce pour le bonheur qu’elle t’a dû en ce monde !... Elle ne te quitte point, elle va t’attendre !...

Le chapelain vint bénir la veuve mourante.

Moda coucha pieusement sa mère sur les degrés de la croix ; en un instant on dépouilla les buissons de leurs dernières fleurs pour en former l’oreiller de la veuve. Le peuple accourut des villages et de la ville ; on n’était pas loin de considérer Chéka comme une sainte, et bien des gens affirmèrent que les cloches avaient sonné toutes seules la paisible agonie de la vieille femme.

Dans le cercueil de l’humble et croyante créature furent placés sa quenouille et son fuseau, et le monument érigé par sa piété a gardé le nom de Spinnerin am Kreuz : LA FILEUSE À LA CROIX.

 

 

Raoul de NAVERY, Légendes de la Vierge de marbre, 1878.

 

 

 

 

 

 

 

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