Bruit vert
Le bruit vert, il avance et résonne,
Le bruit vert, le bruit du printemps.
Un coup de vent dans les cimes
Disperse ses jeux.
Il secoue les branchages des aulnes
Et soulève la poussière des fleurs
Comme un nuage : tout est vert.
Et l’air, et les eaux.
Le bruit vert, il avance et résonne,
Le bruit vert, le bruit du printemps.
Ma maîtresse est si docile,
Nathalie, fille de Patrice,
Qu’elle ne se permettrait pas de troubler mon breuvage.
Mais un malheur lui est arrivé,
L’été, à la capitale, quand j’y étais.
L’imbécile me l’a dit en personne.
Puisse-t-elle mourir de soif !
L’hiver nous a tous deux enfermés,
La fourbe et moi.
La femme se tait, elle regarde
Dans mes yeux austères.
Je me tais, mais croyez-vous que vous laisse
En paix la pensée féroce ?
La tuer... mais j’ai pitié des braves filles.
Et supporter ?... La force me manque !
Et c’est encore l’hiver chevelu
Qui hurle le jour et jure la nuit.
« Tue-la ! Tue-la, cette perfide,
Ou bien que crève le malfaiteur !
Sinon, la vie entière tu languiras.
Sinon le jour, sinon la nuit,
Point de repos ;
Et, dans tes yeux impudents,
Les voisins cracheront ! »
Le chant des tourbillons de l’hiver
Rassure ma pensée féroce.
Je me suis pourvu d’un couteau bien tranchant,
Mais voilà que d’un coup furtivement s’est approché le printemps.
Le bruit vert, il avance et résonne,
Le bruit vert du printemps.
Arrosées de lait,
Les cerisaies se dressent
En bruissant tout bas,
Et, dans leur joie retrouvée,
Bruissent les forêts de pins
Qu’attiédit le soleil brûlant.
Et tout près, dans la verdure nouvelle,
Qui donc balbutie la nouvelle chanson ?
Le tilleul au pâle feuillage,
Et le bouleau blanc,
Et sa tresse toute verte !
Le petit roseau bruit,
Et le si grand érable,
Tous ils bruissent d’une façon très nouvelle,
Nouvelle et printanière.
Le bruit vert, il avarice et résonne,
Le bruit vert du printemps.
Ma pensée féroce a faibli
Et le couteau tombe de mes mains.
J’entends toujours la même chanson
Dans la forêt comme dans les prés.
« Aime aussi longtemps que peut durer l’amour,
Supporte autant que c’est supportable,
Pardonne autant que c’est pardonnable,
Et que Dieu soit ton juge ! »
Nicolas NEKRASSOV.
Recueilli dans Anthologie de la poésie russe
du XVIIIe siècle à nos jours, par Jacques Robert
et Emmanuel Rais, Bordas, 1947.