Les fiancés

 

NOUVELLE VÉNITIENNE

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Charles NODIER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il s’en fallait d’une heure au plus que le soleil se couchât, le 1er janvier 1685, et tous les offices étaient finis, quand les portes de Saint-Marc se rouvrirent pour une double solennité, qui appela dans l’église un très grand concours de peuple. Deux cortèges peu nombreux, mais égaux en magnificence, étaient sortis à la fois du palais Morosini et du palais Trevisano, pour accompagner aux fonts baptismaux deux enfants nés la nuit précédente, et demander en leur faveur les eaux de rédemption. Ils entrèrent en même temps par les deux portes latérales, et ils parvinrent en même temps au saint baptistère, où les femmes déposèrent deux berceaux.

L’un de ces groupes était conduit par Onofrio Morosini, fils de l’illustre doge Francesco Morosini, si connu par les grands services de guerre et d’état qu’il avait rendus à la république ; le second, par le sénateur Bernardo Trevisano, juge de la Quarantie, qui relevait la splendeur de sa race par la renommée de son savoir, et auquel l’Italie entière n’opposait, dans ce siècle de décadence, ni un plus grand philosophe, ni un plus habile antiquaire.

Quand les nourrices eurent découvert le berceau des enfants, il se manifesta de toutes parts un sentiment d’admiration dont l’éclat ne put être tout à fait réprimé par l’imposante sainteté du lieu. Jamais ce premier jour de la vie n’avait laissé paraître tant de beauté dans la créature imparfaite qui vient de naître ; jamais, jusqu’à ce moment, une âme intelligente n’avait paru animer son regard, et il n’était pas possible de douter que ces enfants jouissent de la faculté de voir et de sentir, car ils sourirent en se regardant. On remarqua surtout qu’ils se ressemblaient, et ce peuple, à l’imagination ingénieuse et poétique, imagina facilement qu’ils avaient été formés l’un pour l’autre, quand il apprit que la divine Providence avait donné un fils à Morosini et une fille à Trevisano.

Le fils de Morosini fut nommé Giovanni, et la fille de Trevisano, Elisabetta-Maria, du nom de sa vénérable aïeule, Elisabetta-Maria Tagliapietra, mère de Bernardo.

Une circonstance que personne n’ignorait à Venise donnait un intérêt bizarre à ce rapprochement inopiné. Depuis plusieurs générations, les deux familles de Morosini et de Trevisano étaient divisées par une haine qui avait souvent dégénéré en disputes sanglantes. Ces altercations s’étaient calmées, à la vérité, sous Onofrio et sous Bernardo, nobles et généreux seigneurs, dont l’étude des sciences avait adouci les mœurs ; mais on ne les croyait qu’assoupies ; et on craignait toujours de les voir renaître à la première occasion avec plus de violence que jamais.

Ce jour-là, les témoins ne purent s’empêcher de penser que la Providence elle-même était dans l’intention d’y mettre un terme, et qu’elle avait ménagé cette étrange rencontre à dessein, pour rapprocher, par un lien touchant et sacré, deux de ces grandes races patriciennes dont les dissensions n’éclatent jamais sans danger dans les républiques. Ce sentiment était si naturel que Morosini et Trevisano le partagèrent sans se l’être communiqué par des paroles, et tombèrent dans les bras l’un de l’autre comme deux frères qui se retrouvent à la suite d’une longue séparation. Après avoir échangé les plus tendres embrassements, ils se promirent, aux acclamations de la multitude, de marier leurs enfants dans seize ans, si la sympathie qui semblait s’être manifestée en eux dès le jour de leur naissance continuait à se fortifier avec l’âge, et cet engagement réciproque fut si soudain, qu’il a été impossible de savoir lequel des deux l’avait proposé le premier.

Chaque mois, chaque année de la vie de Giovanni et d’Elisabetta confirma depuis les espérances des deux nobles sénateurs. Leur amour croissait en même temps que leur beauté, et l’on ne comprenait pas qu’il pût en être différemment, car nulle autre personne au monde n’était digne de les distraire de l’invincible attrait qui les appelait à se confondre dans une seule âme. C’étaient en effet deux créatures idéales, deux êtres d’exception, que des perfections trop achevées de corps et d’esprit auraient condamnées à une solitude éternelle, si la nature n’avait pris le soin de les faire naître au même instant sur le même point de la terre, comme deux fleurs rares sur la même tige, comme deux oiseaux de paradis, au plumage d’or et d’azur, sous le même ombrage et presque dans le même nid. Aussi leur tendresse mutuelle n’inspirait pas même cette jalousie dont le principal mobile est dans la vanité humaine. Il aurait fallu, pour aspirer à détourner sur soi l’amour de l’un ou de l’autre, se faire illusion sur sa propre valeur, et il suffisait de les voir pour sentir qu’Elisabetta était seule faite pour Giovanni, que Giovani seul était fait pour Elisabetta. Toute prétention rivale du bonheur de ces deux célestes enfants aurait trahi la démence de l’orgueil ; mais le cœur des jeunes gens et des vierges n’osait battre pour eux ; on se contentait de les admirer, et les poètes les chantaient.

J’ai déjà dit (et à qui peut-il être besoin de le dire ?) que Bernard Trevisano avait imprimé dans son temps un grand mouvement aux sciences philosophiques ; on fait encore cas aujourd’hui de son Cours, de ses Méditations, de ses Proelections fondamentales, et surtout de son traité de l’Immortalité de l’âme. C’est qu’après avoir approfondi la doctrine de Démocrite et celle d’Aristote, il s’était plus particulièrement livré, sous les auspices de Jean Caramuel, évêque de Vigerano, l’esprit le plus imaginatif de tout le siècle, aux divines théories de Platon. Il est malheureusement rare, comme on sait, qu’une pensée active et passionnée, qui se plonge dans les mystères du spiritualisme, s’arrête aux notions utiles et consolantes de cette précieuse étude, et Bernardo était trop altéré de savoir pour ne pas sonder toutes les sources où l’intelligence avait puisé avant lui. Ses admirateurs avouent qu’il s’égara quelquefois dans les combinaisons numérales de Pythagore, et que les rêveries de Caramuel, son maître, sur la cabale des lettres, qu’il avait méprisées dans sa jeunesse, influèrent d’une manière funeste pour sa gloire sur les compositions de son âge mûr. Il n’est pas inutile de raconter ce qui détermina cette nouvelle direction de ses travaux.

Bernard Trevisano, si favorisé du ciel dans les heureux développements de son Elisabetta, fut tout à coup accablé de ses coups les plus rigoureux dans le reste de sa famille. Une épouse jeune encore, et qui faisait ses délices, lui fut enlevée en peu de jours par une maladie inconnue à la médecine. Un fils de grande espérance, le seul héritier de son nom et d’une illustration dont l’origine remontait aux temps les plus anciens de la République, s’éteignit dans ses bras en souriant, comme un ange rappelé à Dieu. Elisabetta elle-même ne participait presque en rien de la vie matérielle. Il la compare quelque part à ces feux brillants et purs qu’on voit souvent errer sur la terre, et qui n’y tiennent point ; dont la vue jouit avec ivresse, mais qu’aucune puissance ne peut fixer, et qui s’évanouissent au moindre souffle de l’air, sans rien laisser de leur passage.

"Hélas ! s’écria-t-il un jour, à quoi servent les profondes spéculations de la science ? à quoi aboutissent les découvertes de la philosophie, s’il n’est donné à l’homme ni de prévoir les maux qui le menacent, ni de pouvoir les conjurer ? La vie ne serait-elle, en effet, qu’un gouffre ténébreux dont nul ne saurait connaître le fond sans l’avoir touché, comme fut pour Aristote l’Euripe, et le volcan pour Empédocle ? Non, non, reprit-il avec exaltation, l’être infiniment puissant qui m’a donné l’instinct de la vérité, et qui m’a permis d’en rallumer le flambeau sacré au foyer des lumières antiques, ne me refusera pas le prix de tant d’efforts et de veilles. S’il est trop tard pour sauver deux parts de mon âme que j’ai déjà perdues, je protégerai longtemps mon Elisabetta contre la mort, ou bien je livrerai aux flammes tous mes livres inutiles, en maudissant l’emploi que j’ai fait de mes folles années, car l’ignorance de la brute est mille fois préférable à un savoir qui ne produit point de fruits."

Là-dessus, il fit défendre à tout le monde l’accès de son palais, et s’enferma dans la solitude, au milieu de ses cabalistes et de ses pythagoriciens, avec ses chiffres fatidiques et ses alphabets mystérieux.

Morosini respecta pendant quelques années la tristesse de Bernardo, car il ne pouvait attribuer la résolution de ce grand homme qu’au besoin de se nourrir secrètement des souvenirs de son deuil. Cependant, quand le 1er janvier 1701 vint à s’approcher, Morosini, qui avait tout disposé pour le mariage de son fils avec Elisabetta, n’hésita pas à pénétrer dans la retraite de son ami, et les serviteurs, qui connaissaient les conventions des deux familles, n’osèrent lui en interdire l’accès ; il entra dans la chambre de Bernardo et s’assit.

– C’est vous, Onofrio, dit le philosophe en se retournant vers lui, que me voulez-vous ?

– Peux-tu me le demander ? Je viens te sommer de la parole que tu m’as donnée il y a seize ans à Saint-Marc, et dont l’accomplissement intéresse aujourd’hui le bonheur de nos enfants. Serais-tu capable de l’avoir mise en oubli, et ne m’a-t-on pas trompé en m’assurant que, loin de t’occuper des préparatifs de leur union, tu avais eu la déloyauté d’éloigner depuis quelques jours Elisabetta ? Dis-moi que cela est faux, je t’en conjure.

– Cela est vrai, répondit Bernardo. Elisabetta n’est pas à Venise, et je ne suis point déloyal.

– Quoi ! s’écria Morosini, de misérables haines de famille, sans excuses comme sans motifs, ont prévalu sur les sentiments les plus saints !

– Tu ne me juges pas assez mal pour me faire l’injure de le penser, repartit Bernardo en lui tendant la main.

– Quel est donc le mot fatal de cette énigme où ma raison se perd ? Le dérangement que ton assiduité au travail et ton éloignement systématique des affaires ont peut-être apporté dans ta fortune te fait-il craindre de ne pouvoir assez dignement doter ton Elisabetta ? Détrompe-toi, mon frère, Elisabetta est déjà trop richement dotée de sa beauté et de sa vertu. Giovanni n’a pas besoin de tes biens pour lui faire tenir le rang d’une reine ; il est mon unique enfant, et depuis sept ans que mon père est allé rejoindre nos aïeux, les jours et les nuits écoulés ne m’auraient pas suffi à compter les trésors que le vieux doge a conquis sur le Péloponnèse et sur les flottes turques de l’Archipel. Mais tu ne me dis plus rien.

– Je m’étonne de ta facilité à me supposer de lâches faiblesses. Elisabetta est encore une des héritières les plus opulentes de tous les États vénitiens ; et j’estime assez Giovanni pour lui donner ma fille, quand elle serait aussi pauvre qu’elle est riche. Fais donc trêve à tes conjectures, car tu ne me devinerais pas. Écoute, as-tu réfléchi quelquefois sur le mobile inconnu des fatalités humaines ? sais-tu de quoi dépendent nos destinées ?

– Je le sais ; nos destinées dépendent, en premier lieu, de la Providence divine ; en second lieu, elles dépendent de l’emploi bon ou mauvais que nous faisons de nos facultés, et surtout de notre raison.

– Cela est vrai en principe, mais la Providence a des lois générales dont elle ne s’écarte jamais, parce qu’elle se les est imposées à elle-même ; et la sagesse consiste à ne pas contrarier l’action inévitable de ces lois universelles par une ardeur imprudente de jouir. La plus infaillible de toutes a été reconnue par Pythagore, qui était peut-être plus qu’un homme. Les cabalistes se sont traînés à tâtons sur sa route, et mon maître, Caramuel, y a fait quelques pas après eux. Ce qu’ils cherchaient, je l’ai trouvé. Le sort de toute la vie est caché dans les syllabes de notre nom. C’est leur arrangement qui détermine l’heureux ou méchant succès de nos entreprises, et c’est de leurs harmonies combinées que résulte, selon certains cycles d’années ou de jours qui se coordonnent avec elles, l’événement fortuit en apparence de nos affections.

– Hélas ! reprit Morosini consterné, t’ai-je bien entendu ? n’as-tu combattu avec tant d’éclat, dès ta jeunesse, la superstition du sortilège et les rêveries de l’astrologie judiciaire, que pour revenir, à cinquante ans, aux hypothèses délirantes de Caramuel ? Tu souris, Bernardo, et je comprends ce dédain. Pardonne à ma sincérité. L’étendue et la certitude des connaissances qui t’ont placé si haut au-dessus des plus savants et des plus sages me défendent de contester ; mais quelle conséquence prétends-tu tirer de ton système ?

– La voici : le siècle qui va commencer dans huit jours sera mauvais pour le genre humain. C’est de lui que doit dater une ère de désolation qui ne se terminera sans doute qu’à l’anéantissement de l’espèce. Je le trouve cependant bienveillant et pacifique pour nos enfants, s’ils ont le courage de vouloir être heureux au prix d’un faible sacrifice. La seule année de ce siècle désastreux qui les menace jusqu’à la fin d’une longue et brillante carrière, c’est celle qui est prête à s’ouvrir ; ils n’ont que seize ans, Onofrio, et le temps rapide que mettra le soleil à visiter ses douze maisons ne les rendra pas trop mûrs pour le mariage. Il me serait facile de désarmer ton incrédulité, mais je ne l’entreprendrai point. Ce que j’obtiendrais aisément de tes convictions, j’ai droit de l’attendre de ta tendresse, et, si tu veux, de ta pitié. Science ou instinct, erreur ou vision, ma croyance est irrévocablement formée ; et si ton intelligence, mieux éclairée que la mienne, répugne à une doctrine bizarre qui m’a longtemps inspiré le même éloignement, tu ménageras du moins, en faisant grâce à mon illusion, ce qu’il y a de plus irritable dans le cœur d’un père. Ce n’est pas toi qui accuseras d’exagération les précautions que l’amour paternel inspire. Tu n’ignores pas plus que moi que si les dangers qu’on redoute pour ses enfants sont imaginaires, la douleur qu’ils causent ne l’est pas. Tu feras mieux, tu exigeras de Giovanni d’éviter comme la mort l’occasion de voir Elisabetta, ne fût-ce qu’un moment, si notre malheur permet qu’il découvre sa retraite. Obéissant, je lui mènerai sa femme aux autels le 1er janvier 1702 ; rebelle à nos prières, tu peux le lui annoncer de ma part, il ne la retrouvera qu’au tombeau.

Morosini ne répliqua plus ; il embrassa étroitement Trevisano, et reporta ses paroles à Giovanni.

Giovanni était ce que nous l’avons vu tout à l’heure, une âme parfaite dans un corps parfait. La doctrine de Bernardo lui parut l’erreur du génie, mais il se soumit en pleurant aux volontés d’un père qui devait partager bientôt les droits du sien. Il se résigna même sans efforts au projet de Morosini, qui avait d’abord résolu de lui faire passer cette année en voyages, soit pour ajouter un complément nécessaire à son éducation, soit pour distraire son cœur d’une préoccupation dangereuse par l’attrait et la variété des sensations nouvelles. Il partit, visita en courant l’Italie, la France, l’Allemagne, et porta en tous lieux ses regrets et son impatience. L’année avait à peine fourni les trois quarts de son cours, qu’empressé de goûter l’air qu’il avait respiré avec Elisabetta, il arrivait à Padoue, de retour vers Venise.

C’était le 26 septembre, un jour solennel dans les fastes de la ville chrétienne qui fleurit sur les ruines de la ville antique d’Anténor, l’anniversaire de la fête de sainte Justine, jeune prédestinée dont le culte des fidèles a consacré le souvenir dans ces murs pieux par un monument que n’égalèrent jamais sans doute en magnificence ni le temple de Vénus à Gnide, ni celui des Grâces à Orchomène, ni la merveille de Delphes. Giovanni, rempli d’une religieuse admiration, parvint, à travers de riches tentures et des berceaux de fleurs, jusqu’à l’enceinte sacrée ; il y pénétra au milieu d’un nuage de parfums et d’encens qui flottait coloré de toutes les nuances de l’arc-en-ciel par le reflet des vitraux, et s’agenouilla sur les pavés de mosaïques, dans une chapelle revêtue de marbres somptueux et rares de différentes couleurs, où une châsse d’or resplendissante de pierres précieuses reposait sur l’autel, entourée d’un chœur de vierges en robes blanches qui la saluaient de leurs cantiques. Ô prestige plus enchanteur que tous ceux qui avaient frappé jusqu’alors les sens de Giovanni ! une de ces voix qui résonna jusqu’au fond de son cœur lui rappela celle d’Elisabetta. Il se leva éperdu, et s’attacha sans réflexions aux pas du groupe dont les chants avaient cessé, et qui gagnait le parvis.

– À bientôt, cher Giovanni, lui dit à basse voix une des jeunes filles en soulevant son voile à demi pour se laisser apercevoir et en le laissant retomber ; n’oubliez pas plus Elisabetta qu’Elisabetta ne vous oublie !

Après quoi elle disparut, et se perdit en un moment dans la foule de ses compagnes.

Il l’avait vue. C’était Elisabetta.

Les trois derniers mois de l’année furent longs à son amour. Ils semblaient ne devoir pas finir. Ils finirent cependant.

Onofrio Morosini n’attendit pas le dernier jour pour aller rappeler à Bernardo que le délai qu’il avait fixé était près d’expirer, et il se trouva heureux d’avoir été prévenu, car le philosophe, distrait de ses études austères par les soins les plus doux de sa vie, était déjà entouré de tous les préparatifs d’une noce brillante.

– Que le ciel te comble de bénédictions, cher Bernardo ! lui dit-il ; nous n’avions point de temps à perdre pour couronner les vœux de nos enfants ! Mon Giovanni, près de céder à l’ardeur qui le consume, penche à vue d’œil vers la tombe... Pâle, flétri, languissant comme une fleur dont le soc a touché la racine, il se fane depuis trois mois sur mon cœur et sous mes larmes ; et j’ai tremblé cent fois que son âme, à peine suspendue à ses lèvres, ne s’exhalât dans un soupir !

– Cela est étrange, dit Trevisano, je reçois également de tristes nouvelles de la santé de mon Elisabetta. Cependant mes calculs ne peuvent me tromper ; et si mes intentions ont été suivies comme j’ai lieu de le croire, aucun danger ne les menace. Ne nous alarmons pas de ces molles langueurs de deux cœurs passionnés qui se manquent l’un à l’autre. C’est un nuage qui se dissipera au premier rayon de l’amour. Retourne donc auprès de Giovanni, et dis-lui que tout est disposé dans mon palais pour y recevoir deux époux. Cent heures encore, Onofrio, pas plus de cent heures, et la fiancée de ton Giovanni lui sera réunie pour toujours !

Le sage Bernardo partit en effet dès le lendemain pour Padoue, pendant qu’on achevait les apprêts de la fête nuptiale.

 

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Il s’en fallait d’une heure au plus que le soleil se couchât, le 1er janvier 1702, et tous les offices étaient finis, quand les portes de Saint-Marc se rouvrirent pour une double solennité qui appela dans l’église un très grand concours de peuple. Deux cortèges peu nombreux, et semblables dans leur lugubre appareil, étaient sortis à la fois du palais Morosini et du palais Trevisano, et venaient recommander aux prières de l’église deux jeunes gens morts la nuit précédente. Ils entrèrent en même temps par les deux portes latérales, et ils parvinrent en même temps sous la clef de la voûte, au rendez-vous funèbre des morts où les porteurs déposèrent deux cercueils.

Ces infortunés étaient Giovanni Morosini, fils d’Onofrio, et Elisabetta Trevisano, fille de Bernardo.

Voilà ce que j’ai lu dans un recueil fort rare de poésies italiennes à leur louange, dont la date ne m’est pas bien distinctement présente, ce qui me fait craindre de m’être trompé d’un an sur celle de l’évènement, chose de peu d’importance d’ailleurs dans une historiette, même quand le fond est véritable.

 

Charles NODIER, Œuvres complètes, 1837.

 

 

 

 

 

 

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