Saint Cloud
par
Adolphe ORAIN
La commune de la Bouëxière, dans le canton de Liffré, qui tire son nom des nombreux buis qui s’y trouvaient jadis, est intéressante à visiter.
On rencontre sur son territoire les deux fermes de Rallion qui, achetées le 16 mai 1791, par Jean Parcheminier, furent affectées par lui à la fondation d’une école de filles et d’une école de garçons.
Lorsque des touristes viennent à passer en ces lieux, les paysans ne manquent jamais de leur faire voir le champ ou courtil du Pavé, le champ de l’Assaut, le champ des tombeaux, dépendant des fermes de Rallion, et au pied d’une colline, le Ruisseau du sang.
Voici l’explication de ces noms guerriers et sinistres :
Les bâtiments, servant aujourd’hui de maisons de demeure aux fermiers de Rallion, faisaient autrefois partie de l’abbaye qui portait ce nom et qui fut construite à la fin du VIe siècle, ou au commencement du VIIe, après un combat sanglant.
Les Bretons étaient continuellement obligés de se défendre contre les invasions des Francs leurs voisins. Vers l’an 595, ils eurent à repousser une attaque de ces guerriers, à l’endroit désigné sous le nom de champ ou courtil du Pavé. Les Bretons, d’abord repoussés, furent ralliés par leur chef et revinrent à la charge au lieu qu’on appelle le champ de l’Assaut. Là, un combat terrible s’engagea, le sang coula en telle abondance qu’il alla se mêler à l’eau de la Noironde, qui porte depuis cette époque le surnom de Ruisseau du sang.
Les Francs se retirèrent après avoir éprouvé des pertes considérables.
Le chef des Bretons donna aussitôt l’ordre de relever les morts, et les fit enterrer dans le champ des tombeaux.
Aujourd’hui encore, la charrue, en labourant la terre de ce champ, amène à la surface du sol des ossements humains.
C’est en souvenir de cette victoire, et aussi afin de faire prier pour l’âme des soldats morts pendant l’action, que le prince breton, commandant l’armée, fonda sur le lieu même de la bataille un abbaye à laquelle fut donnée le nom de Rallion. Ce nom signifiait que la victoire avait été remportée grâce au ralliement des troupes.
L’abbaye fut desservie, jusqu’à la Révolution, par des moines.
L’une des fermes de Rallion occupe l’ancien manoir prioral et possède encore plusieurs portes ogivales, dont une surtout est trilobée d’une façon fort curieuse. L’autre ferme comprend l’ancienne métairie du Prieuré.
La chapelle, partagée par un mur intérieur, sert de grange aux deux fermiers.
L’histoire terminée (et qui nous a paru nécessaire pour la clarté de ce qui va suivre), nous arrivons à la légende.
Les moines de Rallion avaient, paraît-il, un culte tout spécial pour saint Cloud, dont ils avaient une statue de bois dans leur chapelle. Pendant la Révolution, des soldats s’en emparèrent et la jetèrent dans un puits. Ils eurent beau vouloir l’enfoncer au fond de l’eau avec des perches et de lourds pavés, ils n’y réussirent pas. Saint Cloud s’arrangeait toujours de façon à revenir à la surface de l’eau.
Voyant cela, les bleus, comme on les appelait, dirent : « Retirons le saint du puits et nous allons le brûler. » Mais à leur grand étonnement, il leur fut tout aussi impossible de saisir le saint que de le noyer. Il leur glissait dans les mains comme une anguille et, finalement, disparut à leurs yeux.
Après les soldats, ce fut le tour des habitants de la paroisse, qui voulaient leur saint pour le replacer dans la chapelle. Ils vidèrent le puits, et ne le retrouvèrent pas. Jamais on n’a su ce qu’il était devenu.
Adolphe ORAIN,
Contes du pays Gallo, 1904.
Conté par la femme Alyx,
de la Bouëxière,
âgée de 78 ans.