La bonne nouvelle

 

 

                             En Orient

 

On veillait sur les monts. C’était un petit nombre

de bergers qui veillaient sur les monts de Judas.

Leurs feux à côté d’eux étaient près de s’éteindre.

 

Les uns étaient près des tombeaux muets, les autres

auprès des sources bavardes. La pleine lune

versait du haut du ciel sa blancheur sur leurs fronts.

 

Chacun d’eux regardait vers les cieux, comme las,

las de son cœur ; chacun avait à ses côtés

le doux bruit régulier du troupeau qui rumine.

 

Et, jusqu’à l’aube du matin, c’était la halte

pour le cœur du troupeau rassasié de menthes ;

mais le cœur des bergers était toujours en marche.

 

Car les bergers étaient errants comme les astres,

ils avaient leur bissac tout hérissé de poils

à l’épaule, leurs bâtons entre les genoux,

 

une ceinture aux reins, et, dans la main des tiges

d’hysope. Et quelques-uns, comme c’est leur coutume,

chantaient, les yeux fixés au ciel et d’un air las.

 

Et leur chant, sous les cieux brûlés par la lumière,

ne faisait pas grand bruit, au bas de l’univers :

ce n’était guère qu’un piaulement d’oiseau

 

tombé du nid, au pied du grand cyprès natal.

 

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Ils partirent : et Bethléem, sous l’hosannah

des cieux et sous la floraison de l’infini,

dormait. Et voilà qu’ils virent une cabane.

 

Et un ange, du doigt, la montrait aux bergers ;

et la cabane était une étable humble et noire,

d’où venait un menu vagissement plaintif.

 

C’était le cri d’un fils de l’homme, mais pareil

à celui d’un agneau. L’enfant était couché

sur le foin de la crèche et sa mère, étrangère,

 

sur la paille. C’était un premier né, celui

qui lui ouvrait le sein ; et pas même deux planches !

À l’auberge quelqu’un leur répondit : « C’est plein ! »

 

Dans la pauvre cabane, elle pleurait ses larmes

souriantes sur celui qui lui était né

et que l’âne et le bœuf réchauffaient de leur souffle.

 

– « Nous cherchions Celui qui vit... » dit, à peine entré,

Maath. Mais elle, avec une crainte pieuse,

répondit : « Mon fils vit grâce à ce souffle-là... »

 

– « Nous cherchions Celui qui ne meurt pas... » Elle dit :

« Mon fils mourra (elle pleurait sur son agneau tremblant),

mourra sur une croix ! – Nous cherchions Dieu ! »

 

L’Univers répondit à l’homme : « Le voilà ! »

 

 

 

                          En Occident

 

 

                                    I

 

Grande, le long des eaux copieuses, au murmure

de son fleuve éternel et sur ses sept collines,

dans sa blancheur de marbre au milieu du ciel bleu,

 

Rome dormait. La lune illuminait les arcs

au quadruple fronton et le Tibre encore

se fleurissait d’écume en se brisant aux ponts.

 

En haut étincelait en sa toiture d’or

Le Capitole ; mais la nuit mélancolique

emplissait d’ombre la voie sacrée du Forum.

 

Dans cette ombre, une lumière : c’était le feu

de Vesta qui brillait. Au temple, les Vestales

dormaient, enveloppées dans leur robe prétexte.

 

On était dans la nuit qui suit les Saturnales.

Sur leurs trônes, dans les sanctuaires des temples,

les dieux se taisaient, solitaires, immobiles.

 

Autour de la Déesse Mère, les lions

s’étendaient endormis. Les Corybantes ivres

dormaient, l’oreille emplie de cris et de fracas.

 

L’un deux, rouge de sang, aux pieds de la Déesse

gisait. Le temple de Janus était ouvert

Il attendait avec ses ferrures brisées,

 

les aigles qui chassaient dans les pays lointains.

 

 

                                    II

 

Rome dormait, ivre de sang. Les jeux du cirque

étaient finis. Et les matrones, dans leurs rêves,

voyaient passer des corps nus de gladiateurs.

 

Dans le triclinium, les dîneurs endormis

avaient laissé tomber leurs couronnes ; les roses

baignaient dans le sang répandu du Mirmillon.

 

Et sur les os humains qu’ils venaient de ronger,

les fauves dormaient au fond des amphithéâtres ;

les esclaves étaient redevenus des choses.

 

Après leur brève liberté, les ostiaires

gisaient dans l’atrium, attachés à leur chaîne

pareils aux chiens dont l’âme au moindre bruit aboie.

 

On était dans la nuit qui suit les Saturnales

l’esclave, après avoir prolongé la soirée,

dormait en entendant de grands battements d’ailes

 

et des croassements. C’étaient des vols de cygnes

sur le fleuve de son pays ?... Non ! Des corbeaux

qui passaient en nuage noir sur l’Esquilin...

 

Il tissait tour à tour et défaisait la trame

de sa vie : il voyait sa mère ; il entendait

la voix du crieur ; il ouvrait à son enfant

 

ses bras et les sentait cloués sur une croix.

 

 

                                  III

 

Rome dormait. Un seul veillait : c’était un Gète

gladiateur. Il était venu depuis peu ;

son pied portait encor la marque de la craie.

 

On l’avait retiré de l’arène du cirque

avec un croc ; et dans l’immonde spoliarium

quelqu’un avait ouvert la veine de son cou.

 

Il râlait ! le silence était profond, le seul

bruit qui fût demeuré du grand fracas du monde,

c’était la chute lente d’une goutte rouge.

 

La fosse où il gisait était pleine de corps

humains. Son oeil croyait, comme à travers un voile,

en découvrir et puis en recouvrir les os.

 

Pourtant il était seul ; et l’homme qui, du froid

de sa peau, le glaçait, était plus loin de lui

que n’était dans le ciel l’astre le plus lointain ;

 

plus loin que son pays natal, plus que sa plaine

sur les bords de l’Ister, plus que ses bœufs aussi

qui devaient ruminer doucement, étendus,

 

et plus que ses enfants, qui attendaient l’aurore,

tout petits dans le creux du nomade berceau,

plus que son char encor, qui était sa demeure,

 

immobile là-bas et tout noir sous la lune...

 

 

                                   IV

 

Et voici qu’apparut, blanc dans cette nuit bleue,

un ange qui venait du ciel de la Judée

pour porter le message de paix ; la Suburre

 

n’entendit pas ; dans le haut temple de Rhéa,

il proclama la paix ; aux pieds de la déesse,

l’homme rouge étendu ne leva point la tête.

 

L’ange, voyant un feu, dit : « Paix ! » C’était Vesta

qui brillait ; au foyer les Vestales étaient

assises, revêtues de leur robe prétexte.

 

Et l’ange vit un temple ouvert, et, sur le seuil,

murmura : « Paix ! » Mais nul n’entendit, sauf le vent

qui gémit et partit en guerre sur la mer.

 

Et l’ange s’en alla, candide, d’un vol lent,

par les silencieux carrefours, répétant :

« Paix sur la terre !... » Il crut percevoir une plainte.

 

C’était le Gète qui veillait. L’ange entra : « Paix ! »

dit-il. Et, seul, dans la grande cité des forts,

l’esclave entendit. Il ferma ses yeux en paix.

 

Seul l’esclave entendit ; mais il le dit aux morts,

et puis les morts aux morts et les tombes aux tombes.

Et les sept collines pensives ignoraient

 

ce que vous autres vous saviez, ô Catacombes.

 

 

 

Giovanni PASCOLI.

 

Traduit par Albert VALENTIN,

dans Poèmes conviviaux, Hachette.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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