Du malin esprit
par
Jean PAULI
UN DE CES CLERCS de collecteurs qui sont la plaie de nos campagnes, et que l’on y rencontre à chaque pas, gagnait un village pour faire rentrer la dette d’un paysan. Chemin faisant, il fit la rencontre du diable qui avait pris la forme d’un homme des champs, et ils firent route ensemble.
En passant par un hameau, ils virent un enfant qui criait et qui pleurait ; et la mère, à bout de patience, disait :
« Crie donc que le diable t’emporte ! »
Alors le clerc dit au diable :
« N’entends-tu pas qu’on te donne un enfant ? Que ne le prends-tu ? »
Le diable dit :
« La mère ne parle pas sérieusement : elle est en colère. »
En allant plus loin ils trouvèrent un grand troupeau de cochons dans la plaine. L’un des cochons s’était sauvé de la troupe, et le berger l’avait poursuivi et le ramenait en s’écriant :
« Que le diable emporte donc les cochons ! »
Le clerc dit au diable :
« Voilà un cochon qu’on te donne, va le prendre. »
Le malin dit :
« Que veux-tu que je fasse d’un cochon ? D’ailleurs, si je le prends, il faudra que ce pauvre diable le paie. »
Ils arrivèrent ainsi jusqu’à la ferme où le clerc avait de l’argent à toucher. Le paysan était dans sa grange en train de battre son blé. Du plus loin qu’il aperçut le clerc, il se mit à crier :
« Par tous les diables qui t’envoient, que le diable t’emporte ! »
Le diable dit au clerc :
« Entends-tu ce que dit ce paysan ? En voilà un qui parle sérieusement ! C’est pourquoi je t’emmène ! »
Et il l’emporta…
Ne serait-il pas prudent que messieurs les aides des collecteurs fissent un bon signe de croix quand, allant recueillir leurs loyers et arrérages, ils entendent avec quelle conviction on les envoie à tous les diables ?
Jean PAULI,
Les propos de table de la vieille Alsace,
H. Launette, 1886.
Traduit de l’allemand par
Émile Reiber.
Recueilli dans :
Contes de la vieille Alsace,
textes recueillis et présentés
par Pierre Schmitt,
Tchou, 1969.