Le lys

 

                           Apologue.

 

 

Fuyant la volupté, qui jette en son calice

Les remords, comme lie, et pour nectar, le vice ;

Las de sentir son cœur, autrefois innocent,

L’entraîner du péché jusqu’au crime, en glissant,

Un mondain, revenu de ses erreurs passées,

Par un repentir vrai les croyait effacées.

Confiant, généreux, l’astuce et le malheur

Puisèrent dans sa bourse ouverte par son cœur ;

Jamais, bien que tombé du char de la fortune,

La voix de l’indigent ne lui fut importune ;

Riche pour obliger, pauvre pour ses besoins,

C’est l’argent qu’il donnait qu’il regrettait le moins :

Il achevait le cours d’une triste carrière

Dans les douleurs, l’oubli, l’étude et la prière.

 

L’été, comme l’hiver, il dirigeait ses pas

Autour des prés en fleur ou blanchis de frimas ;

Par-dessus toute chose il aimait la nature ;

Elle seule égayait son existence obscure :

Pour lui c’était ce livre ouvert en chaque lieu,

Guide du voyageur qui le mène à son Dieu ;

C’était comme une amie et consolante et tendre,

Qui consolait sa peine et semblait la comprendre,

En lui montrant les cieux, terme de son chemin,

Où ses maux d’aujourd’hui seraient finis demain,

En l’entourant de fleurs, de parfums, de feuillage,

Et sur son front pensif en jetant de l’ombrage.

Ah ! quel infortuné n’est consolé parfois

Par les feux du soleil ou la fraîcheur des bois ?

 

Un matin que rêvant dans une forêt sombre,

Des jours de sa retraite il admirait le nombre,

Et que, fier de les voir croître et s’accumuler,

Son esprit insensé cherchait à s’aduler,

« À quoi me sert, hélas ! disait-il en lui-même,

» Ce vice que je hais, cette vertu que j’aime,

» Et ma vie innocente et mes pensers pieux ?

» Ma sagesse voilée échappe à tous les yeux :

» Ceux qui m’ont vu pécheur peuvent me croire encore

» L’esclave de penchants que maintenant j’abhorre,

» Par les uns méconnu, par d’autres oublié,

» Des sentiments de tous je suis humilié. »

 

C’est ainsi que l’orgueil de l’obscur solitaire

En l’arrachant au ciel le clouait à la terre,

Et que dans sa retraite il désirait unir

L’homme pour l’estimer à Dieu pour le bénir.

L’estime des mortels ! jouet de nos caprices,

Qu’on refuse aux vertus, que l’on accorde aux vices,

Offrande dédaigneuse et que nous sommes prêts

À jeter à qui sert nos moindres intérêts.

 

Élégamment bercé sur sa tige ondoyante

Un lys majestueux au rêveur se présente ;

Alors, de ses pensers continuant le cours,

En admirant la plante il lui tint ce discours :

« Que sert-il à ta fleur d’être pure et sans tache ?

» La nature marâtre en ces buissons te cache,

» Toi, fait pour l’ornement de superbes jardins,

» Des insectes rampants tu subis les dédains !

» Toi, que le roi des Francs porte sur la bannière

» Qui dans le champ d’honneur s’avance la première,

» Emblème éblouissant de grâce et de candeur,

» Tu n’obtins pas un sort digne de ta splendeur ;

» Est-ce pour parfumer cette agreste ramée

» Que tu reçus du ciel ta blancheur embaumée ?

 

À ce pompeux éloge opposant du bon sens,

Notre modeste fleur fit ouïr ces accents :

 

                  J’ignore si ma destinée

                  De plus d’honneur environnée

                  Eût trouvé comme ici la paix,

                  Mais sur ce petit coin de terre

                  L’orage épargne un solitaire

                  Protégé par ces bois épais.

 

                  À la place que Dieu me donne

                  Tu le vois, ma blanche couronne

                  De plaire a gardé le secret,

                  Ma fleur ne s’est point éventée,

                  Bien que des humains écartée,

                  Elle échappe à l’œil indiscret.

 

                  C’est à l’Éternel que s’envole

                  L’encens qu’exhale ma corolle

                  Dans les fraîches heures du soir,

                  Et parfois les brises légères

                  Portent son parfum aux bergères

                  Qui me devinent sans me voir.

 

                  Des doux trésors de la nature

                  J’obtiens ma part avec usure,

                  Du soleil je suis visité,

                  Et ma feuille brille arrosée

                  De gouttelettes de rosée

                  Que me versent les nuits d’été.

 

                  Plein d’amour pour le divin maître

                  Qui dans un taillis m’a fait naître,

                  Je sais m’y trouver à mon gré ;

                  J’aime mieux, passant ma carrière

                  Entre la ronce et la bruyère,

                  Être heureux que vivre admiré.

 

Le pénitent confus alors baissa la tête ;

Des flots de son orgueil se calma la tempête :

« Oh ! nature, dit-il, au pied de ces buissons,

» Une plante à ton fils peut donner des leçons :

» Lorsque sa vanité le séduit et l’égare

» Tu brilles à ses yeux comme un céleste phare ;

» Puisse la solitude être tout mon plaisir,

» Et l’ombre de mes jours s’accroître et s’épaissir !

» Bienheureux le pécheur que la grâce profonde

» Ramène vers le ciel en le voilant au monde,

» Et qui, devant Dieu seul fier de se convertir,

» Se pare des vertus, filles du repentir. »

 

 

 

J. PETIT-SENN.

 

Paru dans la Revue suisse et chronique littéraire en 1845.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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