Lettre au Bon Dieu
Ai-je lu cette histoire, ou vais-je l’inventer ?
Ma foi ! comme il me plaît, je veux vous la conter.
Il était une fois une pauvre famille,
Sans père ; quatre enfants, dont une grande fille
De huit ans tout au plus. Pour dominer son sort,
La maman chaque jour redoublait son effort.
Le travail acharné prenait son existence.
Il fallait aux petits assurer la pitance,
Et, rien que pour manger, se vêtir, s’abriter,
Qu’il faut un dur labeur, grand Dieu ! qu’il faut lutter !
La maman luttait donc. Hélas ! la maladie
Commença pour eux tous sa sombre tragédie.
La maman dut rester dans son lit de douleur
Et l’affreux désespoir surgit comme un voleur.
Pauvres enfants naïfs, au courage éphémère,
Que vont-ils devenir sans soutiens et sans mère ?
Qui les protégera contre l’horrible faim ?
Des enfants délaissés qui prendra soin, enfin ?
« Dieu ! répondit l’aînée ; il a toute puissance,
« Et la terre est soumise à son obéissance. »
Puis, prenant du papier, bien propre, bien glacé,
Leur malheur, par sa plume, à Dieu fut retracé.
« Mon Dieu, Dieu protecteur, commença la fillette.
« C’est moi qui vous écris, la petite Henriette,
« Pour vous faire savoir que nous sommes à bout,
« Que maman est très mal, que nous manquons de tout.
« Petit frère a crié, Jeanne verse des larmes ;
« Nous sommes accablés par d’étranges alarmes ;
« Jean, d’un morceau de pain, n’est jamais satisfait...
« Pour tant souffrir, grand Dieu ! dites, qu’avons-nous fait ?
« Ah ! guérissez maman, que ses forces reviennent !
« Que vos espoirs divins promptement la soutiennent !
« Que son tourment cruel puisse enfin s’apaiser...
« Rendez-lui la santé, rendez-nous son baiser.
« Avec du pain, grand Dieu ! nous voulons ses tendresses ;
« Les enfants ont besoin, pour vivre, de caresses,
« Et nous n’avons ni pain, ni caresse aujourd’hui.
« Ô Dieu ! secourez-nous, donnez-nous votre appui :
« Nous vous aimerons bien. Vos humbles créatures
« Ne peuvent supporter de si rudes tortures.
« Célébrant vos bienfaits, bénissant votre nom,
« Nous voulons proclamer, Dieu, que vous êtes bon. »
Sans dire un mot, l’enfant courut vite à l’église.
La lettre dans un tronc discrètement fut mise.
Le soir, un prêtre lut ce lamentable écrit ;
Cette lettre au bon Dieu, le prêtre la comprit,
Et, grand consolateur des souffrances humaines,
Il vint à la maison, tout ému, les mains pleines.
Il apportait secours, espérance en ce lieu...
Et la lettre était bien parvenue au bon Dieu.
Alexandre PICOT.
Paru dans L’Année des poètes en 1893.