La légende du rouge-gorge
(BERCEUSE DE NOËL)
I
Le petit Jésus, couché dans sa crèche,
A si froid, si froid, qu’il tremble bien fort ;
Sa mère, en vain, met de la paille sèche
Sur ses pieds mignons : jamais il ne dort.
Pour le réchauffer de sa chaude haleine,
Le grand bœuf ému souffle dans son coin :
Et l’âne aide au bœuf. Mais l’étable est pleine
De glaçons chassés sous le toit mal joint.
Dodo, dododo, mon bel oiseau rose,
Dans ton gentil nid fait de blanc duvet ;
Pour bercer ton rêve, un ange se pose,
Dodo, dododo, près de ton chevet.
II
Le petit Jésus, sous cette avalanche,
A si froid, si froid qu’il en devient bleu,
Et que ses doux yeux, ses yeux de pervenche,
Sous leurs cils dorés se fanent un peu.
Et Marie en pleurs a cru voir se clore
Ces yeux de velours, pour l’éternité ;
Mais elle a l’espoir en Dieu qu’elle implore :
Il protégera sa maternité.
Dodo, dododo, mon bel oiseau rose,
Dans ton gentil nid fait de blanc duvet ;
Pour bercer ton rêve, un ange se pose,
Dodo, dododo, près de ton chevet.
III
Or un oiseau brun, du fond de l’étable,
Vole sur les pieds de l’enfant divin ;
À grands coups de bec, l’oiseau charitable
S’arrache à la gorge un duvet bien fin ;
Et l’enfant du ciel a chaud sous la plume
Dont s’est dévêtu son petit ami ;
Et l’âne et le bœuf, dont le mufle fume,
Admirent bientôt Jésus endormi.
Dodo, dododo, mon bel oiseau rose,
Dans ton gentil nid fait de blanc duvet ;
Pour bercer ton rêve, un ange se pose,
Dodo, dododo, près de ton chevet.
IV
L’oiseau brun, qui sent saigner sa poitrine,
Privé de sa plume, a si froid, si froid,
Qu’il va, le pauvret ! dans la main divine
De Jésus rêvant se blottir tout droit.
Soudain il trépasse et devient un ange
Qu’un coup d’aile emporte aux deux triomphants ;
Et, depuis ce jour, une marque étrange
Ensanglante au cou ses petits-enfants.
Dodo, dododo, mon bel oiseau rose,
Dans ton gentil nid fait de blanc duvet ;
Pour bercer ton rêve, un ange se pose,
Dodo, dododo, près de ton chevet.
Paul PIONIS.
Paru dans L’Année des poètes en 1891.