L’enfant
L’enfant se débattait dans le flanc maternel,
Lorsqu’un ange dans l’ombre, au nom de l’Éternel,
Invisible au chevet de la femme éperdue,
À l’être humain futur, douce tête attendue,
Porta ces tristes mots :
« Écoute ton destin,
Et la lugubre nuit qui voile ton matin
Sombrera tout à coup dans ta première aurore,
Lorsque j’aurai parlé, si tu veux vivre encore ! –
Tu souffriras la soif, tu souffriras la faim.
Tu blanchiras ton front sur un labeur sans fin.
Tu seras le cœur noir qui toujours désespère.
Tu croiras au Seigneur et tu deviendras père,
Mais tu verras mourir tes enfants avant toi,
Et tes mille sanglots feront crouler ta foi.
Ton sort sera douleur, iniquité, détresse.
Ceux que tu chériras trahiront ta tendresse ;
Tu seras bon, aimant, utile en ton chemin,
Mais tu rencontreras, comme un reptile humain,
La noire ingratitude à chaque pas blottie.
Tu sèmeras le blé, tu cueilleras l’ortie ;
Puis, vieux, désabusé, seul, mauvais à ton tour,
N’ayant eu qu’une joie en ce monde, l’amour,
Infirme, dépouillé de tes visions blanches,
Tu te dessécheras, comme un arbre sans branches,
Jusqu’à l’heure où, ployant sous le faix des affronts,
Tu mourras, torturé !... Veux-tu vivre, réponds ? »
Et jaillissant du flanc qui s’ouvre et le délivre :
« Qu’importe, dit l’enfant, j’aimerai, je veux vivre ! »
Georges de PORTO-RICHE, Tout n’est pas rose, 1877.