Le Devisou
par
Henri POURRAT
UN PEU avant la grande Révolution, un innocent, venu de la paroisse de Vertolaye, courait le pays d’Ambert. On le nommait le Devisou, sans doute par dérision, c’est-à-dire l’ingénieux, le trouveur – le trouvère, le poète. Mais dans ce mot de devisou, comme elle est dans le mot latin de vates, poète, il y déjà l’idée de devin, de voyant.
La França vira !
Coumo moun chapé lia virara,
Et coucardo pourtara !
« La France tourne, criait ce pauvre fol, comme mon chapeau elle tournera et cocarde elle portera ! »
Ce disant, au milieu des rires de la rue, à grands gestes, il tournait son chapeau c’en dessus dessous, et il montrait la place de la cocarde.
Vint 1789, l’année de la Grande Peur. Le bruit courut partout, vers la fin de juillet, que les brigands arrivaient, jetant des brandons dans la moisson, égorgeant tout le monde... On se sauva dans les bois, avec le bétail – ceux de Saint-Martin dans le bois de Saint-Georges, au-dessus des Balais et de Pierre-Folle. Dans les clochers, les cloches sonnaient toutes seules...
Puis un autre bruit passa qu’on pouvait revenir, et l’on cria : « Illuminez ! » Mais tout tourna en France : il n’y eut plus de roi, plus de nobles, plus de prêtres, sinon cachés. Le blé valut on ne sait plus combien le quarton, et le sel aussi cher, un sel plus noir que gris, qu’on avait bien du mal à se procurer. Ce fut le temps de la Révolution, le temps des cocardes ; et, comme on put se rappeler alors, avec son grand chapeau qu’il faisait tournoyer, ce voyant, le Devisou.
Henri POURRAT,
Légendes du pays vert, 1974.