Le prêtre-âme

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Henri POURRAT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

UN HOMME, un soir, par hasard, se trouva enfermé dans une chapelle, au milieu des collines. Sur la mi-nuit sort de la sacristie un prêtre revêtu des ornements : il monte à l’autel : « Introibo ad altare Dei... » Puis, voyant que personne ne paraît pour dire les répons, ce prêtre descend les degrés, s’en retourne.

L’homme crut peut-être qu’il y avait de la vision : le lendemain, il revient non plus seul mais accompagné de gens qui voulurent le suivre. Le prêtre, de nouveau, paraît, dans ses ornements, portant le calice sous le voile ; il monte à l’autel, il dit le premier verset, attend un servant qui ne se présente pas et tristement regagne la sacristie.

Le surlendemain, après avoir consulté des personnes de savoir, les gens revinrent encore de nuit à l’église. Et cette fois, quand le prêtre fut à l’autel, l’un d’eux se détacha pour dire les répons.

Après l’amen du servant sur le Requiescat in pace, l’officiant se tourna vers lui : il le remercia d’une façon qui gagnait le cœur. De son vivant, dit-il, il avait omis de célébrer en ce lieu une messe, à lui acquittée, pour les âmes du Purgatoire. Depuis sa mort, il y avait obligation pour lui de revenir dans la chapelle jusqu’à ce que quelqu’un se présentant pour la servir, il pût enfin dire la messe oubliée.

« En ce temps, raconte Jeanne M., il y avait encore une église à la Tour-Goyon. La paroisse est à la Forie à présent. »

On ne voit plus qu’à peine ce qui était le prieuré : une vieille muraille de granit gris taillé, prise sous le lierre d’un jardin, près de la place verte et de sa mare. Entre quelques fermes au loin égaillées, tout dort sous de grands chênes, au sommet de cette montagne ronde. Anciennement, c’était un endroit pieux. On y venait voir la « sainte rose », une rose de Jéricho, rapportée de Terre Sainte par un ancien prieur, plus sèche qu’un petit balai de bruyère morte, et qui pourtant s’épanouissait à chaque Noël.

« Mon grand-père et mon grand-oncle étaient enfants de chœur à la Tour-Goyon. Une nuit, de chez nous, on entendit la cloche. « Monsieur le curé vous appelle ! » Leur mère les fit lever, les deux frères, les habilla, tout ensommeillés et les envoya à l’église.

« Un peu plus tard, dans la nuit, ils revinrent. « Oui, on en vient, on a servi la messe... Ce n’était pas notre M. le curé : c’était un prêtre, un grand, qu’on ne connaissait pas. La messe dite, en nous faisant un beau salut, vite il s’est retiré, on ne sait pas comment. »

« Trois nuits de suite, à la mi-nuit, il leur fallut ainsi, sur un coup de la cloche, aller dans leur église. Trois nuits de suite, ils y trouvèrent ce prêtre : docilement, ils servaient ces messes – il avait à les dire pour être délivré. Peut-être bien un prieur de la Tour-Goyon. Il n’était plus de la terre, toujours : c’était un mort, qui revenait de nuit, c’était, comme on dit, un prêtre-âme. »

 

 

Henri POURRAT,

Légendes du pays vert, 1974.

 

 

 

 

 

 

 

 

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