Dona Agueda de Mexia
IL était une belle fille discrète et de bonnes façons. Dom Joan était épris d’elle, empressé, galant à merveille. Gentilhomme et beau cavalier, aucun n’était plus digne d’elle ; mais le père de la damoiselle crut prendre pour sage parti, de la donner à un marchand qui demeurait dans le pays. Dom Joan, quand il sut la nouvelle, fut sur le point de trépasser ; il s’en alla bien loin de là, sans dire où il se dirigeait. Trois mois il s’en alla ainsi, trois mois en pareille agonie. Il avait fait seller son cheval et sans savoir ce qu’il faisait. Il s’en allait par les chemins, ne sachant pas où il allait. À ce que voulait le cheval, le cavalier obéissait, passant de pays en pays dont il ne connaissait aucun, et tant qu’à la fin le cheval s’en revint vers son écurie, sans que dom Joan s’en doutât. Il vint à passer par la rue où sa maîtresse demeurait. La maison qu’elle habitait, la fenêtre où il la voyait, tout est couvert par un drap noir, aussi noir que noir peut être. Il fit appeler une dame par l’amour de Dieu et de courtoisie. – Signes d’absence si lugubres, dis-moi pour qui les portes-tu ?
– Je les porte pour ma dame, dona Aguede de Mexia ; son âme est avec Dieu, son corps est dans la terre froide, et c’est pour vous dom Joan, pour votre amour qu’elle est morte
Dom Joan, quand il ouït cela, comme mort tomba à terre ; ses yeux ne pleuraient pas, sa bouche ne s’ouvrait pas. Autour de lui, tous regardaient ce qu’il allait faire. Il s’en fut droit à l’église où sa dame reposait.
– Je te prie, sacristain, pour Dieu et saint Marie, que tu m’aides à ouvrir le tombeau de mon amie.
Là il la vit aussi belle qu’il la voyait autrefois. Il mit les genoux en terre et leva le bras au ciel. Il jura par Dieu à sa dame qu’à nulle autre il ne serait. Il prit un poignard d’or pour aller lui tenir compagnie. Alors la sainte Vierge, la vierge sainte Marie, ne voulut pas permettre que cette âme se perdît, elle fit un miracle ; la morte tendit la main droite vers son amant et sa bouche eut un sourire. La vie qui s’était enfuie revint avec l’amour qui n’était point parti. On courut pour chercher son père ; il était dans le désespoir. Viennent parents, viennent amis, tous avec une grande joie. Et pour femme on donna la dame à dom Joan qui était le plus digne d’elle.
Théodore Boudet, comte de PUYMAIGRE,
Choix de vieux chants portugais,
traduits et annotés par
le comte de Puymaigre,
1881.