Le comte Nillo

 

 

LE comte Nillo, le comte Nillo mène baigner son cheval. Tandis que le cheval boit, le comte se met à chanter. Il faisait déjà bien sombre, le roi ne le put reconnaître ; la pauvre infante se demandait si elle devait rire ou pleurer.

– Fais silence, ma fille, écoute, belle chanson tu entendras. C’est un ange qui chante au ciel ou la sirène dans la mer.

– Non, ce n’est pas un ange au ciel ou la sirène dans la mer. C’est le comte Nillo, mon père, celui qui me veut épouser.

– Qui parle du comte Nillo ? qui ose ici le nommer, ce vassal rebelle que j’ai fait exiler.

– Seigneur, à moi seule est la faute, vous devez punir moi seule. Je ne puis pas vivre sans lui, c’est moi qui l’ai fait venir.

– Tais-toi, tais-toi, fille traîtresse, ne me dis pas ton déshonneur. Avant que le jour ne paraisse, tu le verras décapiter.

– Le bourreau qui l’exécutera peut aussi pour moi s’apprêter. Là où vous creuserez sa fosse, faites aussi creuser la mienne.

Pour qui sonnent ces cloches ? Pour qui ces cloches sonnent-elles ? Le comte Nillo est mort, l’infante va trépasser. Les deux fosses sont ouvertes, voilà qu’on enterre le comte au parvis de l’église et l’infante au pied de l’autel. Sur l’une des fosses pousse un cyprès et sur l’autre un oranger. L’un grandit, l’autre grandit, leurs branches se rejoignirent et se donnaient des baisers. Le roi en fut informé, il ordonna qu’on les coupât. Du cyprès sort un sang noble, de l’oranger un sang royal. De l’un s’échappe une colombe, de l’autre un pigeon ramier. Quand le roi se met à table, les oiseaux se posent en face de lui :

– Malheur soit sur leur tendresse, malheur soit sur leur amour. Ni dans la vie, ni dans la mort je n’ai pu les désunir.

 

 

 

Théodore Boudet, comte de PUYMAIGRE,

Choix de vieux chants portugais,

traduits et annotés par

le comte de Puymaigre,

1881.

 

 

 

 

 

 

 

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