La justice de Dieu

 

 

LE comte est traîné en prison, il est conduit sous bonne garde. Ce n’est point pour avoir volé, ni avoir commis quelque meurtre. C’est pour avoir fait violence à une fille qu’il rencontra, s’en revenant de Compostelle. Non content d’en abuser, ses désirs assouvis, il l’a laissée à son valet. Il l’assaillit dans la montagne, bien loin de tout lieu peuplé, et il la laissa pour morte sans pitié, ni souci ; trois jours et trois nuits durant, elle resta tout en larmes dans ce désert. Elle y fût restée plus longtemps à pleurer, si Dieu, qui toujours secourt les malheureux, n’avait fait passer par là un vieux soldat, pauvre vieillard à barbe blanche comme neige. Il s’appuyait sur son épée qui lui tenait lieu de bourdon. Son esclavine et son chapeau étaient bordés de coquillages. De la pauvre pèlerine il s’approcha. D’une voix douce, affectueuse, il lui dit : Ne pleure plus, ma fille, tu as trop pleuré. Ce félon de chevalier est emmené sous bonne escorte.

Ainsi parlant, le vieux soldat prend la fille en sa compagnie. Il se présente à l’audience du roi où déjà l’on avait traduit le comte : – Bon roi, par le saint Apôtre, je réclame qu’à la pèlerine tout droit soit fait. La loi de Dieu veut qu’il l’épouse, la loi des hommes le condamne à être décapité. Nuls privilèges de noblesse ici ne sauraient le couvrir. Privilèges ne valent pas lorsque Dieu est l’offensé.

Le roi dit à ceux du conseil, d’un air courroucé :

– Sans délais que cette affaire devant moi soit expédiée.

– L’affaire est considérée, Sire ; elle est jugée, bien jugée. Qu’il choisisse : l’épouser ou bien être décapité.

– Tel est mon plaisir, dit le roi ; faites venir le comte. Ou épouser la pèlerine, ou perdre la tête à l’instant.

– Vienne le bourreau et sa hache, répondit le prisonnier. Plutôt souffrir mille morts que vivre dans l’ignominie.

Alors se dresse le vieillard, le bon vieux brave soldat :

– Bon roi, c’est mauvaise justice ! Votre sentence est mal rendue. D’abord épouser la fille, ensuite être décapité. Avec le sang l’honneur se lave, mais le péché n’est pas lavé.

Tout en disant ces paroles, il avait jeté son épée. Ses insignes de pèlerin, ses armes de soldat disparaissent et il se montre en habit de saint évêque. Sa mitre était de pierres fines, sa crosse de bel or massif. Il prit la main de la pèlerine, celle du comte il y mit. Ainsi présentes les personnes, par sacrement il les unit. Les assistants pleuraient tous. Plus que tous, le criminel. En larmes il demandait la mort, pour mettre fin au déshonneur.

Du saint évêque il reçut, tout contrit, l’absolution et on l’emporta mourant sans qu’il fût besoin du bourreau. La main de Dieu était sur lui, avant une heure il expira. Mais alors le saint Apôtre vint à l’aide de cette âme, car pèlerin, soldat, évêque, n’étaient rien autre que lui.

 

 

 

Théodore Boudet, comte de PUYMAIGRE,

Choix de vieux chants portugais,

traduits et annotés par

le comte de Puymaigre,

1881.

 

 

 

 

 

 

 

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