Le comte d’Allemagne
LE soleil paraît derrière la montagne, voici le jour resplendissant et le comte d’Allemagne dormait avec la reine. Nul ne le savait de tous ceux qu’il y avait à la cour si ce n’est la princesse Juliana, fille de la reine.
– Juliana, si tu le sais, ne vas pas le découvrir, car le comte est très riche et de drap d’or il te vêtira.
– Je ne veux point de hardes d’or, j’en ai déjà de damas. Mon père n’est pas encore mort et vouloir me donner un beau-père ! Que je ne puisse venir à bout de plisser cette chemise, si quand mon père reviendra de la messe je ne lui dis tout.
Ils en étaient à ces discours, le père frappa à la porte.
– Oh ! quelles sont ces discussions entre une mère et une fille ? – Le bien venu soit mon père et que Dieu soit avec lui ! J’ai à lui raconter une histoire extraordinaire. Étant à mon métier à tisser de la toile fine, je vois le comte d’Allemagne... – Il t’aura rompu quelques fils ? Ne te fâche pas, ma fille, et ne me mets pas en colère. Le comte est enjoué et aura voulu plaisanter. – Je ne veux point de ses badinages, ni de ses vilains jeux, car il m’a pris par un bras et voulait m’entraîner sur un lit. – Calme-toi, ma fille, et ne m’irrite pas davantage. Demain, à ces heures-ci, le comte sera décapité.
– Levez-vous, ma mère, venez voir quel spectacle, c’est le comte d’Allemagne. Il va en compagnie, sa tête est dans un plat, son sang dans un bassin.
– Maudite sois-tu, fille, ainsi que le lait dont je t’ai nourrie, toi qui a causé la mort de ce comte si aimable.
– Calmez-vous, ma mère, et ne m’irritez pas davantage pour que je ne vous fasse conduire à la mort comme le comte.
– Bénie sois-tu, ô ma fille, ainsi que le lait dont je t’ai nourrie, petite fille de douze ans qui m’a sauvée de la mort !
Théodore Boudet, comte de PUYMAIGRE,
Choix de vieux chants portugais,
traduits et annotés par
le comte de Puymaigre,
1881.