L’œuf de Pâques
ÉPISODE DE LA GUERRE DU TONKIN
C’EST à Nam-Dinh. Avril qui sur nos champs moroses
Jette comme un manteau de lilas et de roses,
Là distille la fièvre en des cieux étouffants,
Et combats et fléau déciment nos enfants...
Or, dans une paillotte – une sorte d’étable
À l’aspect chancelant, délabré, lamentable –
Sur un vieux lit de camp à la hâte dressé,
Un jeune lieutenant, mortellement blessé,
Agonise... Oh ! mourir en ces lieux, loin de celle
Qui fut à peine un mois sa compagne fidèle,
Et qu’au jour du départ il pressa sur son cœur,
Lui disant : « À bientôt, je reviendrai vainqueur ! »
Mourir loin d’elle ! Dieu, dans sa joie infinie,
Avait-il pu lui faire une telle agonie !...
Et le jeune officier songeait amèrement
Qu’à cette heure, sans doute, en son isolement,
Elle pensait à lui, la chère abandonnée ;
Et puis, il la voyait, sur la carte inclinée,
Et du doigt et des yeux s’orienter, hélas !
Vers celui qu’elle attend, mais qui ne viendra pas !
Et son cœur s’étreignit d’une angoisse sans bornes.
Au dehors, l’horizon est voilé, les cieux mornes ;
Et, sans relâche, avec son clapotis navrant,
Une pluie aveuglante, épandue en torrent,
Dès l’aube tiédit l’air et sature les terres
D’où monte une buée aux ferments délétères.
Tout à coup, un soldat paraît sur le chemin,
Précipitant le pas, compulsant de la main
Le courrier – le courrier de France ! – qu’il apporte.
Bientôt de la paillotte il a franchi la porte
Et tend deux plis scellés au malheureux blessé.
Sur son lit aussitôt celui-ci s’est dressé,
Et fiévreux, haletant, il lit :
« – Mon pauvre Jacques,
« Tu recevras ma lettre aux environs de Pâques...
« Oh ! ce jour pour tous deux sera bien triste, ami,
« Toi défendant tes jours contre un fauve ennemi :
« Moi, seule et suppliant, dans ma douleur mortelle,
« Le Sauveur de t’avoir en sa garde et tutelle...
« Mais du moins par le cœur je serai là, t’aidant
« À lutter, à souffrir, à vivre, en attendant
« Que, le Dieu des combats ayant béni nos armes,
« Le retour mette un terme à tes maux, à mes larmes.
« Et comme gage, ami, que sans cesse, en tous lieux,
« Mes pensers te suivront sur ces bords périlleux,
« En ce coffret d’ivoire, avec toute mon âme,
« J’enferme le portrait de ta petite femme.
« Place-le sur ton cœur et contre tout danger
« Qu’il soit le talisman qui te doit protéger. »
C’en est trop : il succombe au coup qui le terrasse
Et laisse choir la lettre. « Oh ! le coffret... de grâce ! »
Fait-il au vaguemestre ; et celui-ci l’ouvrant
En retire l’écrin et le tend au mourant
C’était un petit œuf de Pâques dont l’ivoire
Du plus riche satin eût éclipsé la moire
Et d’où se détachait, sur un fond velouté,
Le portrait d’une femme à l’exquise beauté.
Et le héros la prit, cette image adorée,
Et sur sa lèvre, hélas ! déjà décolorée,
Longtemps il la pressa, murmurant un doux nom...
Mais voilà que soudain a grondé le canon :
Le moribond alors se redresse ; la fièvre
Qui perle sur son front et contracte sa lèvre
Allume en son regard une étrange lueur ;
Et tandis que, souillé de sang et de sueur,
Son bras s’agite, il pousse un cri : « Vive la France ! »
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et vaincu par le mal et par l’effort broyé,
Après qu’il eut crié sa dernière espérance,
Jacques, le lieutenant, retomba, foudroyé.
Henry PUYMALY.
Paru dans La Sylphide en 1898.