Le paladin constant
AVENTURÉ dans le pays moresque, un paladin fut capturé et comme esclave il fut livré au noble Miramolin. Le roi more avait une fille plus blanche que le jasmin, ses yeux étaient ravissants, son corps était très gracieux. Un jour que Celima regardait vers les tours de Safim, elle aperçut le pauvre esclave tout pensif, travaillant par là. Ce qu’elle éprouva dans son cœur, elle aurait voulu le cacher. Elle pleura, mais en silence, ses pleurs, nul ne les entendit. Depuis cet instant, ses passe-temps n’eurent plus pour elle aucun attrait, l’amour seul occupa son cœur et ne se fit que trop sentir. Des jours entiers elle demeure sur la terrasse du château pour voir de là dans le jardin le pauvre esclave qui travaille. À la fin, elle ne peut plus faire taire sa passion, tout l’amour qui est dans son cœur, elle le révèle au chrétien. Lui pourtant ne sait y répondre. Il ne dit rien à la princesse, mais il songe aux amours qu’il a laissés dans son pays. Constant est tout à sa peine ; il ne veut rien de Celima, son cœur est armé d’un airain qui le défend de tous les traits. Voyant que l’amour ne le peut vaincre, la princesse lui parle ainsi :
– Tout mon or, toutes mes richesses, si tu le veux, seront à toi pour racheter ta personne qui a captivé la mienne. Dis-moi, chrétien, ne veux-tu pas ? Ah ! dis-moi un oui ou un non.
– Je ne veux ni de votre or ni de rien qui se trouve ici. De mon pays, il en viendra, madame, pour me racheter.
– Si tu ne veux de mon or, ni de rien qui se trouve ici, eh bien ! je serai ton esclave, et en tout je te servirai. Dis-moi, chrétien, ne veux-tu pas ? Ah ! dis-moi un oui ou un non.
– Je ne vous veux pas pour esclave, Dieu vous donne un meilleur destin. Madame, quelle est votre erreur, que vous vous trompez sur moi !
– Si c’est de mon dieu que tu ne veux pas, ni de mon père le Miramolin, j’aurai de l’amour pour ton Dieu, et ton père sera le mien. Dis-moi, chrétien, ne veux-tu pas ? Ah ! dis-moi un oui ou un non.
– Je ne veux de vos amours ni de vos richesses d’ici. Plus d’amours et plus de richesses m’attendent dans mon pays. Maudite soit l’heure qui m’a fait aborder ici. Je repousse une âme qui se donnait à Dieu, un cœur qui se donnait à moi ; qu’avec vous soit le bonheur, moi je ne suis pas né pour vous.
Quand elle entendit ces paroles, elle jura de se venger. Au bout de sept jours écoulés, le paladin était mort. Fut-ce par trahison de la princesse ? Nul ne le sait.
Théodore Boudet, comte de PUYMAIGRE,
Choix de vieux chants portugais,
traduits et annotés par
le comte de Puymaigre,
1881.