Les deux sœurs
par
Elisa von der RECKE
Deux sœurs descendirent des cieux : autour d’elles retentissaient des hymnes ravissantes. L’une resplendissait d’un éclat surhumain, sur sa tête rayonnait une auréole étoilée ; l’autre douce et timide, comme la fleur mouvante des champs, avait pour parure une guirlande de myrte et de roses. Là où leurs pieds divins effleuraient la terre, l’émail embaumé des fleurs marquait la trace de leurs pas. Paisibles et étendant leurs mains mollement enlacées, elles consacrèrent la naissance, couronnent la fin de l’humaine créature par la concorde et la joie, et confient le cours de son existence aux génies célestes.
Le beau, dans sa pureté native, plaît seul à l’intelligence des deux vierges sacrées ; leur pieuse alliance calme et sanctifie les terrestres penchants. Mais lorsque le délire tente de les désunir, elles s’enfuient éplorées. N’ai-je pas dit l’amour et la religion ?
Le cœur humain est leur trône ; mais sous le manteau d’attributs mensongers, deux démons, affreusement célèbres, les suivent de loin. Sur leur front est écrit : égoïsme et fanatisme. Détruisant ce que les deux immortelles avaient édifié, isolant ce qu’elles avaient rallié, ils se glissent aux lieux qu’elles abandonnent, y dressent un échafaud à la vérité, un autel à l’erreur, soufflent au cœur des peuples les fureurs de la révolte, et leur rage infernale se repaît des angoisse de la destruction.
Oh ! ne laissez jamais les deux sœurs s’envoler ensemble !
Laissez ces aimables guides de notre aine vers sa céleste source lui verser de pures extases et une éternelle paix.
Élisa von der RECKE.
Traduit de l’allemand par M. B.
Paru dans la Revue poétique du XIXe siècle en 1835.