La petite marchande de sable
(À dire dans un hôpital.)
Il faisait froid, il faisait sombre !
Une enfant lentement dans l’ombre
Se glissait, cherchant au hasard
Un chemin pour son petit char.
Dans la grande ville bruyante
Elle menait toute tremblante
Du sable à vendre, ainsi comptant
Apitoyer les habitants.
Elle aurait, comme à l’ordinaire
Quelques sous pour sa pauvre mère
Qu’un long mal ne pardonnant pas
Retient sur son mauvais grabat.
Mais, en cette veille de fête,
Nul ne remarque la pauvrette !
Chacun court, soit à ses plaisirs,
Soit à l’achat de ses désirs.
Et si, quittant un peu la rue,
Elle entre dans quelque avenue,
Ou bien franchit, presque à tâtons,
Le seuil de certaines maisons,
Elle y trouve-des ménagères
Ayant chacune mille affaires :
L’une pense, avec son balais,
Changer son logis en palais.
Une autre farcit avec joie
Pour Noël la succulente oie ;
Une troisième met au four
Kuglopf et biscuit tour à tour.
Tantôt, dans la poêle bouillante,
Le vin chaud du réveillon chante ;
Ici, c’est près d’un gros Milchbrot
Qu’on aligne des Schwowebrot.
Déjà de petites lumières
Brillent aux arbres les premières.
L’enfant entend à chaque pas :
« Oh ! du sable ! il ne m’en faut pas ! »
Ayant en vain vu la pratique,
Elle approchait d’une clinique.
Des sons doux et mélodieux,
Sortant de là, montaient aux cieux.
En cette heure où chacun s’apprête,
Entrant sans que nul ne l’arrête,
Et se glissant dans les couloirs,
Elle arrive jusqu’aux dortoirs.
Par une porte entrebâillée,
Elle aperçoit émerveillée
D’éclatants arbres de Noël
Qui lui semblent venus du ciel.
Au feu de ces vives lumières,
Sous leur voile, des infirmières,
Et dans de beaux petits lits blancs
Des malades aux yeux ardents.
Vêtus de leurs blanches tuniques,
Des docteurs font de la musique,
Puis, des cohortes de chanteurs
Sous l’arbre exécutent des chœurs.
Quelqu’un, près de la porte ouverte,
Aperçoit alors la pauvrette :
« Que fais-tu là ? Qui t’a permis
« D’entrer ainsi chez nos amis ? »
Et l’enfant en larmes amères
S’écrie : « Oh ! cherchez donc ma mère
« C’est ici qu’elle doit venir !
« Ici qu’elle pourrait guérir ! »
Alors, près d’elle l’on s’empresse,
On lui demande son adresse.
Un bon docteur, le même soir,
Quittant la fête, alla la voir.
Et la mère, en ce doux hospice
Aux malheureux toujours propice,
Retrouva jusque vers l’été,
Contentement, force et santé.
Décembre 1921.
Laure ROEHRICH, Noëls d’Alsace,
recueil de poésies, chants et saynètes,
1922.