Un souvenir de Noël
C’était un logis dénudé :
La mère était morte à la peine,
Et le père aigri, dégradé
Nourrissait en son cœur la haine.
Comme il buvait son maigre gain,
Ne rentrant qu’en état d’ivresse,
Les enfants, qu’il privait de pain,
Avaient connu tôt la détresse.
Et l’aîné, Jacques, se mourait
De quelque consomption lente,
Sans un murmure, le pauvret,
Dévoré de fièvre brûlante !
Louise, la plus grande sœur,
Brave petit chef de la troupe
Tricotait, – avec quelle ardeur ! –
Tout en cuisant la maigre soupe.
Les plus jeunes, aux fronts blêmis,
Couchés sur le sol nu, sans planches,
Ayant faim s’étaient endormis,
Rêvant d’anges aux ailes blanches.
De beaux sapins, de sons joyeux,
Du doux Noël au saint mystère,
D’étoiles descendant des cieux
Pour se fixer sur notre terre...
Louise leur avait conté
Ce qu’elle apprenait à l’école.
Oh ! comme ils avaient écouté
Les doux chants, la sainte Parole !...
Soudain... – Est-ce un rêve insensé ? –
On frappe, dans le grand silence...
Sur ses gonds la porte a grincé,
Un groupe lumineux s’avance.
Des enfants au regard ouvert,
Au visage rose, au pas leste,
Entrent avec un arbre vert,
Resplendissant d’éclat céleste.
Au haut brille une étoile d’or,
Et lumières rouges et blanches,
Bonbons, jouets, – tout un trésor –
S’accrochent partout sur les branches.
Portés par des anges – bien sûr ! –
Suivent des paniers à surprise :
Bons habits, gâteaux et fruits mûrs.
– Tout un souper ! – pense Louise.
Jacques soudain s’est soulevé
Sur le grabat de son martyre.
Ce que les petits ont rêvé
Se réalise, et les fait rire.
Bientôt, portés par les échos,
Des chants ailés vibrent dans l’ombre :
« Gloire à Dieu, dans les lieux très hauts !
« Amour, paix sur la terre sombre ! »
Laure ROEHRICH, Noëls d’Alsace,
recueil de poésies, chants et saynètes,
1922.