L’Ermitière

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jean-Marie ROUGÉ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans le bois, une petite chapelle cache son toit de chaume, et un étang mire l’humble sanctuaire. Des chênes aux branches moussues s’étirent dans une eau noircie où, depuis des ans, tombent des feuilles et se courbent des joncs. Le silence semble régner en maître absolu dans ces lieux ignorés. Cependant, si l’averse monotone pleure dans les taillis, le vent agite les sommets des futaies avec un bruit pareil à l’océan en furie.

Alors, dans la forêt d’Ambillou, un seul endroit reste calme. C’est un asile contre la tempête, un lieu sacré que n’incendient pas les démons de l’air ; c’est l’Ermitière.

Là, depuis de longs jours, une recluse volontaire, Jeanne de Faillé, vit loin du monde. De très illustre famille, elle a quitté les honneurs et la fortune. Se consacrant à Dieu, elle a fui tout ce qui peut la rattacher à la vie ordinaire.

De ses mains, elle a construit dans un lieu solitaire une cabane pour s’abriter ; elle a défriché un coin de terre, planté et semé.

Après la neige et les glaces de l’hiver, elle vient de revoir le printemps. Cette reverdie met des feuilles légères aux arbres voisins de l’Ermitière, et le soleil laisse errer des rayons bienfaisants sur l’eau ridée de l’étang. La lumière très douce des premières « chandeleures » visite les moindres clairières et se répand dans les obscures combes forestières.

Des oiseaux chantent, et ce ne sont point les oiseaux des tristes nuits, car pinsons, mésanges et rouges-gorges font, chacun à leur manière, un hymne à la lumière qui donne clarté et chaleur aux bois profonds.

Par ce beau soleil renaissant, Jeanne de Maillé regarde la terre qu’elle a semée et plantée et voit sortir de terre des plantes et des fleurs,... des fleurs dans l’enclos de l’Ermitière,... et pour qui ces fleurs ?

Pour Notre-Dame Marie, se répétait Jeanne, et une à une elle les cueillit et les réunit en bouquet sauf trois d’entre elles qu’elle laissa au sol.

La gerbe était faite, quand la recluse voit devant elle un chevalier tout armé et qui, ayant attaché son cheval au tronc d’un arbre, dit d’une voix lente et presque balbutiante :

« J’ai faim et soif ; banne dame, ayez pitié ! »

Jeanne regarda le chevalier et reconnut, sans se troubler, l’un de ceux qui jadis l’avaient demandée pour épouse.

« Je suis Guy de Chantereine, dit le chevalier.

– Je suis la recluse de l’Ermitière », dit Jeanne en couvrant son visage d’un léger voile.

Le cavalier qui n’a point reconnu la haute dame de jadis, continue :

« Affamé et assoiffé, donnez-moi du pain et du vin.

– Du vin, je n’en ai point ; allez plutôt à la fontaine toute proche vous désaltérer, seigneur.

– Du pain ?

– Je n’en ai plus ; mais acceptez les trois fleurs encore vivantes au sol de mon jardin : c’est tout mon avoir terrestre.

– Merci, dit le chevalier ; je vais boire à votre fontaine et prendre avec moi les fleurs que vous venez de m’offrir. »

Alors le cavalier se mit en selle, et, dit le conte, les trois fleurs devinrent trois petits pains bien frais..., et pour le seigneur errant, l’eau qu’il but ensuite à la fontaine lui sembla un vin délicieux.

Plus tard, Guy de Chantereine, de retour en ses terres, narra la nouvelle aux gens de son pays, et depuis, nombreux furent ceux qui s’en allèrent vers l’Ermitière quérir force et santé.

 

 

 

 

Jean-Marie ROUGÉ, Histoires du jardin

de la France, Mame, 1943.