Le petit clerc

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jean-Marie ROUGÉ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans la cathédrale, le soleil de mai perçait de rayons timides les vitraux du chœur. Le bleu, le jaune, les ors semblaient reprendre vie.

Aux roses du transept, tout s’enflammait soudain, puis les lueurs s’apaisaient ou bien s’avivaient à nouveau. La nef dans une demi-pénombre éclairait les colonnes qui montaient légères et d’où retombaient les ogives. Les chapelles latérales sortaient du sommeil des ombres, tandis que les absidiales n’avaient plus l’austère aspect d’un cloître inachevé.

Vers l’autel de la Vierge, un jeune clerc se dirigeait lentement.

Vêtu de noir, la tonsure fraîche et les yeux baissés, il allait vers la Madone pour lui dire patenôtres et oraisons.

Devant le bréviaire du pauvre, il s’agenouilla.

Ce bréviaire était un livre d’heures aux merveilleuses enluminures et dont le texte chantait la gloire, l’idéale beauté et la miséricorde de la Reine des cieux.

Entre deux veilleuses aux flammes vacillantes et placé dans l’intervalle de colonnes, gardé par une grille d’argent, le manuscrit était ouvert.

La page apparente représentait la Vierge Mère recevant du Père éternel la couronne d’or de la Reine céleste. Des anges jouant, l’un de la harpe, l’autre de la viole et le troisième de la mandore, paraissaient, d’une musique divine, emplir un ciel azuré.

Portant la traîne bleue du manteau de Marie, un ange, parmi l’enluminure, semblait contempler le petit clerc en prières qui, après avoir fléchi trois fois le genou, fit le signe de la croix et s’approcha du bréviaire. Il pensait combien il était redevable a monsieur le doyen du chapitre de Saint-Martin de lui avoir appris à lire dans le psautier.

Le petit clerc admirait la miniature et ses bandeaux fleuris.

Il croyait respirer alors le parfum des fleurettes champêtres que les maîtres imagiers avaient peintes avec leurs vraies couleurs, bluets, pensées, maillets, tels on les aurait cueillis un matin dans la rosée.

La Madone regardait le petit clerc, avec un air grave et sévère croyait-il, en la candeur de sa pensée.

L’enfant pieux songeait aussi :

« Suis-je assez pur pour me présenter devant l’image de la Mère de Jésus ?

« Ai-je bien servi la messe de Monseigneur l’abbé en toute conscience ?

« J’ai eu mauvaises distractions hier pendant les vêpres canonicales... ; mon esprit avec malice me fit sourire d’un chantre qui bâillait... comme âne qui braie...

« Que sais-je... ? Ah ! oui, un péché de gourmandise s’est glissé en moi furtivement, lorsque je passai devant l’étal de Francine la boulangère... Ses fouaces sont si bien beurrées, et ses feuilletés si dorés... Mais ce péché est véniel...

« Or j’ai péché gravement, mon Dieu !... en riant d’un vénérable chanoine qui restait le bonnet sur la tête pendant la bénédiction... Bonne Vierge, donnez-moi le pardon, je vous prie. »

Après ces aveux et comme s’il eût déposé le fardeau de son âme, le petit clerc, s’élevant sur la pointe des pieds, bien près de la page ouverte, lut sur le bréviaire du pauvre :

 

Humblement te fay prière,

Mère de nostre Redemptour,

Que ta bénigne grâce acquière

En perseverant en t’amour...

Tu es le chastel et la tour

Où les pêcheurs se viennent rendre ;

Si te suppli, oy ma clamour

Et à mon fait veuilles entendre...

 

Et, s’étant prosterné humblement, il continua sa lecture :

 

Belle sans peur et sans nul si,

Plus doulce fleur que n’est la rose,

Met mon âme hors de souzi

Que de tous péchés est enclose

 

Tant que à ton Filz parler je n’ose

Pour les grands péchés où je suy

Si te supplie sur toute chose

Prie luy qu’Il ait de moy merci...[i]

 

D’une voix douce, le petit clerc répétait pour la quatrième fois ces vers harmonieux, quand il lui sembla que c’était lui-même, avec sa face benoîte, qui était empris dans la miniature et que, devenu un bel ange aux ailes peintes, il portait la traîne bleue du manteau de la Vierge...

Mais, par une porte entrebâillée, un coup de vent impétueux souffla les veilleuses du bréviaire.

« Les beaux rêves sont courts », pensa le petit clerc, qui bientôt ne fut plus qu’une ombre glissant dans la cathédrale au silence profond...

 

 

 

 

 

Jean-Marie ROUGÉ, Histoires du jardin

de la France, Mame, 1943.

 

 

 

 

 



[i] Ms. Tours. Bibl. Municipale, fol. 2 à 4, in Heures dites d’Anne de Bretagne.