La sauge

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

J. ROUMANILLE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I

 

Les bourreaux du roi Hérode, féroces et tout couverts de sang, fouillaient les maisons de Bethléem pour égorger les enfants à la mamelle.

La Vierge Marie, plus morte que vive, errait, pendant ce temps-là, dans les montagnes de Judée, et, pressant son enfant nouveau-né sur son cœur tremblant, elle fuyait les égorgeurs.

Saint Joseph, dans la plaine, allait de masure en masure, demandant l’hospitalité : personne ne voulait la lui donner.

 

 

II

 

Et voici que, tout à coup, des hurlements de mort vinrent percer le cœur de la Mère de Dieu. Elle tourna la tête... et que vit-elle ?

Elle vit, là-bas, là-bas au loin, les soldats d’Hérode qui les poursuivaient.

Aïe ! aïe ! aïe ! Où se réfugier ? Pas de grotte dans la montagne où pouvoir s’abriter !

 

 

III

 

Et elle vit, tout près d’elle, la Rose qui s’épanouissait.

« Rose ! belle Rose ! lui dit-elle, épanouis-toi bien et cache, avec tes feuilles, le pauvre enfant que l’on veut faire mourir, et la pauvre mère à demi morte. »

La Rose lui répondit :

« Passe vite, passe ton chemin, car les bourreaux, en m’effleurant, pourraient me ternir. La Giroflée est tout près d’ici ; va dire à la Giroflée de t’abriter, et sans doute elle t’abritera. »

 

 

IV

 

« Giroflée, Giroflée gentille, lui dit Marie, épanouis-toi bien, et cache, avec tes feuilles, le pauvre enfant que l’on veut faire mourir, et sa pauvre mère à demi morte. »

La Giroflée lui dit :

« Passe vite, passe ton chemin... Je n’ai pas le temps de t’écouter : je suis occupée à me fleurir. La Sauge est tout près d’ici : la Sauge a toujours été le recours des pauvres gens. »

 

 

V

 

« Sauge, bonne petite Sauge ! épanouis-toi bien, et cache, avec tes feuilles, le pauvre enfant que l’on veut faire mourir, et sa pauvre mère à demi morte. »

Et tant et si bien s’épanouit la bonne petite Sauge, elle élargit tant ses feuilles et ses fleurs, qu’elle abrita et cacha l’Enfant Dieu et sa mère.

 

 

VI

 

Et quand les bourreaux passèrent, la Mère, épouvantée, frissonna, et l’Enfant-Dieu lui souriait.

Et comme ils étaient venus, les bourreaux s’en allèrent.

Et quand ils furent partis, Marie et Jésus sortirent de leur refuge vert et fleuri.

« Sauge, Sauge sainte ! grand merci ! » dit la mère.

Et la Vierge caressa de la main la plante compatissante, et la bénit.

 

 

VII

 

Et puis, saint Joseph rejoignit Marie et Jésus, avec l’âne qu’un brave homme lui avait loué. Et Marie s’assit sur l’âne. Et Michel, l’archange de Dieu, descendit des hauteurs du ciel, pour leur tenir bonne compagnie et leur indiquer les plus courts chemins.

Et doucement, à petites journées, ils se rendirent en Égypte.

 Et c’est depuis ce temps-là que la Sauge a tant de vertus, et que l’on dit en Provence :

 

            Quau de la sàuvi noun prèn,

            De la Vièrgi noun sénsouvèn.

 

C’est-à-dire :

 

            Celui qui n’a pas recours à la sauge,

            Ne se souvient pas de la Vierge.

 

 

 

Joseph ROUMANILLE, La sauge.

 

Paru dans la Revue britannique en 1884.

 

 

 

 

 

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