La reine de France à Paris

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

André ROUSSEAUX

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le glas tintait aux tours de Notre-Dame. Le ciel même de Paris, tendu de sombres nuées, portait le deuil du roi de France. Le printemps renonçait à sourire, et le vent, qui soufflait aux berges de la Seine, était glacé.

Dans l’église, notre peine allait-elle incliner au désespoir ? Le catafalque magnifique, drapé aux trois couleurs, blasonné aux armes de France, couvrait un cercueil vide. La loi abominable triomphait jusqu’au delà du tombeau. Jusqu’à son dernier souffle, notre Prince avait été privé de l’air de France. Et voici qu’assemblés, en souvenir de Lui, au centre et au cœur de son royaume, dans la première église de sa capitale, nous allions prier devant un cénotaphe, avec la pensée que son corps se dissolvait au loin, dans une terre étrangère, cependant que son héritier, atteint par le mécanisme de la loi parricide, venait de disparaître à son tour du sol français. L’antique et salutaire ordre de succession, savamment retourné contre la patrie, montrait, en fonctionnant à rebours, autant d’exactitude et de sûreté à ruiner et à détruire qu’il en avait mis pendant près de mille ans à édifier et à conserver. L’esprit satanique qui avait osé ce retournement sacrilège, l’esprit qui tue la France en bannissant ses rois était-il venu à bout, en ce jour où il exilait à la fois le souverain mort et le souverain vivant, de la Famille qui ne s’éteint jamais ?

Elle est entrée dans Notre-Dame comme pour nous répondre et nous consoler. Qui donc ? Celle qui jamais ne règne en France, pas plus que la mère ou l’épouse ne commande dans nos foyers, mais qui est la mère et l’épouse de nos rois ; qui est la Régente quand un accident de la loi naturelle laisse le royaume aux mains trop frêles d’un enfant ; qui est l’auguste et gracieux témoin du Roi quand le Roi est exilé de son royaume comme un père serait retenu par des barbares, très loin de sa maison.

Nous l’attendions, étourdis que nous étions, comme la présidente de la cérémonie. Elle est venue comme la reine de France. Son service d’honneur, en marchant devant Elle, commandait le respect. Elle imposait, en apparaissant, la plus douce et la plus souveraine autorité.

Une reine de France, lui faut-il un manteau de cour et cinq mètres de traîne pour être majestueuse ? Notre reine, c’est une Parisienne. Et c’est avec une robe au-dessus de la cheville qu’Elle sait s’avancer d’un pas de déesse. Une robe courte et ne point courir ? Mais marcher lentement au contraire, aussi lentement qu’il le faut quand on pénètre pour la première fois dans une foule dont chaque visage est à retrouver et à reconnaître. C’est le royal prodige de cette journée.

À son approche, le cœur battant, il nous faut courber bien bas la tête. Le respect à sa personne est une force qui agit à ce moment sur les nuques comme la pesanteur. À mesure qu’Elle avance entre les rangs qui s’inclinent, c’est comme un coup de vent qui passerait sur des blés. Puis, le visage relevé, il est permis de La contempler, de tâcher de fixer en une seconde l’expression de son clair regard. Point de sourire en ce jour de deuil et dans cette église. Mais si grave que soit l’arc de ces lèvres, quelle nuance imperceptible, quel mouvement subtil du dessin y inscrit la marque d’une grâce affable et charmante ? Et surtout quelles ondes ensorceleuses propagent à chaque pas tous les mouvements qu’Elle fait ?

Il n’en est pas de plus savants, il n’en est pas de plus naturels. Sa marche est si lente qu’à chaque rang qu’Elle dépasse, Elle va, sans s’arrêter un instant, se tourner à demi vers la droite et vers la gauche pour regarder et saluer chacun de ceux qui représentent ici tout son peuple. Ce pourrait être trop long, ce pourrait être ridicule. C’est inouï de grandeur et de bonté. De son talon léger au sommet de son joli chapeau, il n’est pas une ligne qui ne participe à ce rythme enchanteur. Elle a parcouru toute la nef sans qu’il semble qu’Elle ait touché le tapis qu’on a déroulé sous ses pas. Avions-nous jamais imaginé que la majesté la plus pure et la plus authentique pût être à ce point facile et simple ?

Mais avions-nous donc oublié que notre Princesse est la petite-fille d’Henri IV ? La vivacité du sang français qui l’anime, son élégance, son esprit, évoquent invinciblement le roi joyeux et fin qui aimait tant Paris et qui le chantait, dit-on, sur le refrain de ma mie, o gué. L’air de Paris délicat et rieur, qui se joue dans le ciel d’argent et sur la pointe des peupliers, entre les toits du Louvre et le Pont-Neuf, il baigne le visage de notre Reine comme s’il émanait de ses traits. Fille de Paris, fille d’Henri IV, et, par delà le vieux roi populaire, de l’antique souche capétienne enracinée dans l’Île-de-France. Elle est d’une race plus vieille que les dalles qu’Elle foule aujourd’hui. Un de ses aïeux régnait déjà quand furent fondés ici les piliers de cette nef. Mais Elle, que nous voyons revenue parmi nous, semble ne retenir de cette durée millénaire que la jeunesse de l’immortalité. Dieu ! Quels cris notre cœur a réprimés dans le grand silence où sa présence merveilleuse nous tenait écrasés et que le chant des orgues ne suffisait pas à remplir.

 

 

 

André ROUSSEAUX, mai 1926.

 

Paru dans La Revue fédéraliste en juillet 1926.