Le conte des sept canardes
par
Carmen ROY
Il y avait autrefois une femme qui avait rien qu’un petit garçon qui était bien jeune. Il allait à la classe et apportait son dîner à tous les midis.
Un bon jour, il arriva à l’école un homme étranger qui regardait jouer les petits enfants pour voir lequel d’entre eux lui semblait le plus intelligent. Il s’aperçut qu’il y en avait un dans le groupe qui était terriblement en vie. Il l’approcha en lui disant, mon jeune homme, je suis ton oncle, tu vas venir avec moi à la maison pour me faire faire la connaissance de ta mère. L’enfant le conduisit donc chez eux et il le présenta en arrivant. Mais ce n’était pas du tout son oncle, c’était un magicien qui avait lu dans ses livres de magie que, sur une montagne éloignée de la province où ils étaient il y avait de l’or en quantité à ramasser. Il avait choisi ce petit garçon qui était bien débrouillard pour lui en envoyer chercher, lui, n’ayant pas le droit de monter sur la montagne. Il demanda donc à sa belle-sœur, comme il le prétendait, de lui laisser son petit garçon pour quelques jours qu’il lui ferait faire sa fortune. Et la mère consentit à laisser partir son enfant avec cet étranger.
Un bon matin, après avoir acheté deux chevaux bridés et sellés, ils partirent tous les deux dans la forêt. Quand ils furent rendus vers le soir, ils arrivèrent au pied d’une grosse montagne, pour dire, un cap coupé fier. L’étranger débarqua de son cheval en disant au petit garçon de faire comme lui. Une fois les pieds à terre, le vieux prit son sabre et abattit son cheval ; le petit garçon fit pareil. Après leur avoir enlevé la peau, ils firent un grand sac des deux peaux, enlevant une babiche autour de chacune pour la coudre et faire un cordon pour plisser le sac.
Le vieux, qui était un magicien, dit au petit garçon, écoute bien ce que je m’en vas te dire. Tu vas embarquer dans le sac. À minuit, il va venir un corbeau qui va t’enlever pour te monter sur cette montagne. Quand tu seras rendu là, tu attendras le jour pour en sortir. Dès la clarté arrivée, tu verras tout autour de toi, de l’or massif. Tu empliras le sac et tu te dépêcheras parce qu’à midi juste le corbeau reviendra, prendra le sac et descendra la montagne. Prends bien garde à toi d’oublier ta place, car si tu l’oubliais ce serait malheureux, tu serais obligé de rester sur cette montagne. Impossible pour personne de descendre de là. Craignez pas, mon bon vieillard, je vais faire tel que vous me dites.
Le petit garçon était dans le sac quand, à minuit, il entendit le vol d’un oiseau qui descendit, prit le sac et le transporta dans les airs et le déposa sur la montagne. Quand enfin le jour vint à apparaître le petit garçon fut tout ébloui de voir ces belles pierres d’or reluisantes au beau soleil. Il remplit vite le sac bien plein, jusqu’à la gueule, mais ambitionné, il garda pas de place pour lui. À midi juste le corbeau passa, prit le sac et l’enleva. Rendu au pied de la montagne, le magicien l’ouvrit avec empressement pour voir si le petit garçon était dedans. Mais il n’y était pas.
L’enfant était à errer sur ]a montagne sans savoir ce qui allait advenir de lui. Il courait de bord et d’autre, le bois étant très rare là-haut. Mais un peu plus éloigné, il aperçut un p’tit bouquet de branches. Il dirigea là ses pas et aperçut un p’tit chemin de pied dans la mousse. Il ne savait pas si c’était un chemin de bêtes sauvages ou d’êtres humains, mais il le suivit.
Après avoir marché pendant quelque temps, il arriva à une masure de cabane. La mousse poussait dessus. Il s’en alla frapper à la porte et une voix lui dit de rentrer. Il ouvrit et un vieillard aux cheveux et à la barbe blanche lui apparut.
– Bonjour, mon bon vieillard.
– Bonjour, mon jeune homme.
– Dites-moi donc, mon bon vieillard, qu’est-ce que vous faites ici ?
– Mon jeune homme, qu’est-ce-que je fais ici ? Je fais la même chose que tu vas faire toi aussi. T’apprendras que le même corbeau qui t’a monté ici m’a aussi monté dans mon jeune âge. Jamais j’ai été capable de descendre et tu finiras tes jours comme moi.
Le petit garçon partit à pleurer à chaudes larmes. Mon bon vieillard ! C’est donc de valeur ! On n’est pas capable de descendre !
– Non, mon enfant. Et t’apprendras que la montagne est coupée fière de tous les côtés. Je l’ai parcourue en tous sens. Me voilà rendu au bout de ma carrière et je n’ai pu en descendre. Mais seulement, il y a encore un exploit pour toi qui es jeune et agile. Es-tu bien débrouillard ?
– Oui, mon bon vieillard. J’étais le meilleur de ma classe à l’école.
– Il y a ici à l’est, pas bien loin, un lac que je vas aller te montrer. Au bord du lac, il y a une grosse roche blanche. Elle a un creux dessous. Un jeune homme comme toi peut s’y mettre à l’abri. Tous les matins, à l’aurore du jour, il arrive sept canardes qui viennent se baigner. Ce sont sept princesses amorphosées. Elles se déshabillent pour se baigner et mettent leurs habits sur la roche. Si t’avais la chance de prendre un pleumage, ou mieux deux pleumages, on pourrait se faire transporter tous les deux à nos demeures. Si tu prenais un pleumage et que tu viendrais me trouver avec, je te dirais quoi faire.
– Mon bon vieillard, demain, réveillez-moi matin et j’y irai. Le lendemain matin, à l’aurore du jour, le vieillard réveilla le jeune homme qui avait pas dormi d’inquiétude et lui dit que c’était le temps de s’en aller au Lac. Fourre-toi bien loin sous la roche, lui répéta-t-il, parce que les canardes sont fines.
Une fois rendu, le petit garçon s’envoya avec précaution aussi loin que possible en dessous de la roche quand, tout-à-coup il entendit le bruit des ailes et vit venir six canardes qui se mirent à rôder. Elles se déshabillèrent au plus vite et se jetèrent dans le lac. Mais la septième continua à voltiger autour et prit du temps à se déshabiller pour se baigner. Une se mit à dire : « Dépêche-toi, si tu es en retard, t’auras de la misère, car notre père est méchant et tu sais quel châtiment tu pourras avoir. » Mais la jeune se déshabilla comme les autres sortirent du lac.
Aussitôt qu’elle se jeta à l’eau, le jeune garçon sortit et prit son pleumage. La canarde s’en aperçut et s’en vint le trouver en lui disant :
– Donne-moi mon pleumage. Mon père, le roi, est terriblement sévère ; si je ne suis pas rendue en même temps que mes sœurs j’aurai de grosses punitions.
– Impossible, attends-moi ici, lui dit-il, je m’en vas revenir dans un instant.
Il partit donc avec le pleumage de la canarde et s’en alla rejoindre le vieillard.
– Tenez, mon bon vieillard, j’ai réussi à en prendre seulement qu’un. Je m’en vas vous le donner pour vous en aller.
– Non, mon jeune homme, je m’en irai pas. Moi, j’ai fini ma carrière. D’un jour à l’autre, je suis prêt à rendre mes comptes à Dieu, tandis que toi tu rentres dans le monde. Tu vas t’en aller, écoute bien quoi-ce que je vas te dire, suis mes instructions en tous points, sinon tu perdras la vie. Tu vas demander à la canarde pour te descendre la montagne. Elle va te dire que c’est impossible pour elle qu’elle est trop petite. Mais occupe-toi pas de ça, elle est capable. Rendu au pied de la montagne, qu’est-ce que tu vas faire ? Bien éloigné de la maison de ta mère, tu peux pas rester là. Ta mère est une pauvre veuve qui a bien besoin de toi. Tu peux pas te laisser mourir dans les forêts. Ton corps sera mangé par les bêtes sauvages ou les oiseaux de proie. Rendu là, tu te feras donc transporter sur le perron de la porte de la maison de ta mère par la canarde. Elle est capable.
– Merci mon bon vieillard, je vous souhaite de la chance. Dieu vous donnera la récompense que vous méritez.
Après avoir bourré ses poches d’or, une vraie fortune, le jeune homme s’en fut trouver la canarde qui l’attendait au bord du lac.
– Tiens, lui dit-il, je te remettrai ton pleumage si tu veux me descendre la montagne.
– Tu vois bien que c’est impossible pour moi de te descendre la montagne, une pauvre petite canarde comme je suis.
– T’es capable. Autrement que ça, je peux pas te donner ton pleumage.
– Eh ! bien, puisque c’est comme ça, prends-moi par le cou, et tiens-toi bien.
La canarde prit sa volée et elle descendit la montagne. Mais rendue au pied, il lui dit :
– Tu vas être obligée de me rendre chez nous. Comment veux-tu que je puisse m’en aller ? Après m’avoir sauvé la vie en me descendant la montagne, impossible que tu me laisses ici dans cette grande forêt bien éloignée de la maison de ma mère.
– C’est impossible, reprit-elle, tu es trop pesant. Je crois que tu es chargé d’or. Une pauvre petite canarde comme je suis n’est pas capable de t’amener à la maison de ta mère.
– Si t’es pas capable, reprit le jeune homme, c’est impossible de te remettre ton pleumage.
Quand la canarde vit qu’il était impossible de ravoir son pleumage, elle fit embarquer le jeune homme sur ses épaules et le transporta sur le perron de la maison de sa mère.
Mais rendu là, le jeune homme prit la canarde, la cacha dans sa falle et rentra dans la maison à la grande surprise de cette pauvre mère qui pleurait toujours la perte de son enfant. Elle lui sauta au cou en disant :
– Dis-moi donc quel malheur que t’as eu !
– Ma mère, mon malheur vient seulement de moi ; l’homme qui m’a amené avec lui était un brave homme, un homme généreux.
Et après avoir raconté tout son histoire à sa mère, il lui parla de ses projets de faire réparer la maison.
– Mon voyage m’a payé, lui dit-il.
Et il fit venir des ouvriers de premier ordre qui travaillèrent la maison comme un palais. Il n’y avait rien de plus beau.
Après avoir fini leur ouvrage, les ouvriers prirent la canarde que le jeune homme portait toujours sur lui et la mirent dans sa chambre. La canarde était camarde pendant le jour et princesse la nuit. Il restait avec sa princesse la nuit dans sa chambre et la gardait comme si c’eut été sa femme.
Mais son intention était à tous les jours d’aller faire un tour dans la forêt, car il aimait la chasse énormément. Il avertit sa mère de ne jamais ouvrir la porte de sa chambre quand il serait absent, mais par précaution il gardait toujours la clé sur lui.
Un jour, après avoir barré sa porte de chambre, il avait accroché la clé sur un clou au-dessus de la porte sans penser qu’il sortirait probablement. Car un peu plus tard, il lui prit une idée d’aller faire la chasse et il s’en alla dans la forêt.
Rendu assez loin dans le bois, en faisant la chasse, il lui vint une peine au cœur et il sentit comme une pesanteur. « Dis-moi donc ce que ça veut dire que me v’là quasiment fou dans la forêt ! Il y a une peine qui m’écrase ! Dis-moi donc ce qui peut être arrivé à la maison !... À moins que j’aie pilé sur un arbre qui écarte le monde ? Dis-moi donc qu’est-ce qu’il y a !... »
Mais on va revenir à la maison de la pauvre veuve. Il y avait une voisine qui était curieuse qui était venue la voir ce jour-là.
– Dis-moi donc qu’est-ce que ça veut dire, dit-elle, ton petit garçon a pas été parti longtemps et vous êtes rendus comme des millionnaires. Votre maison est comme un château, rien ne manque ici. Veux-tu me montrer tous les appartements ?
Par complaisance la veuve la fit entrer dans tous les appartements et lui fit admirer tout ce qu’il y avait de beau. Mais rendues à la chambre de son garçon, elle ne voulait pas l’ouvrir.
– Pour quelle raison m’ouvres-tu pas celle-là, dit la voisine ?
– C’est parce que je n’ai pas la clé de cette porte. Et à part de ça, il m’a dit que si j’ouvrais sa porte, il m’arriverait malheur. Je n’ai pas d’affaire dans sa chambre non plus.
Mais à un moment donné la voisine aperçut la clé accrochée au-dessus de la porte et lui demanda de l’ouvrir.
– On n’entrera pas dans la chambre, quand elle sera ouverte on regardera ce qu’il y a dedans.
Mais la porte ayant été ouverte d’environ trop pouces, elles virent sortir une ombre ! La porte de la maison était ouverte et la canarde s’envola.
C’est la peine que le jeune homme ressentait dans la forêt. Il arriva vers le soir à la maison et en ouvrant la porte de sa chambre il vit que sa canarde était partie.
– Ma mère, pour l’amour de Dieu, vous avez ouvert la porte de ma chambre après vous avoir tant défendu de le faire. Pour vous, c’est un malheur, et pour moi aussi. Vous apprendrez, ma mère, que ma femme était dans ma chambre. Elle n’avait plus seulement qu’un jour à être amorphosée en canarde. Après ça elle serait revenue en princesse et le jour et la nuit. Son père est le roi le plus puissant du monde. Vous m’avez fait perdre le bonheur que je devais avoir sur la terre. Dès aujourd’hui, je vais partir et je vais vous laisser pour toujours. Je marcherai tant que la terre me portera et que la mer me mènera.
La mère, toute baignant de larmes, se jetant au cou de son enfant qu’elle aimait plus qu’elle-même, lui dit :
– Mon fils, pour l’amour de Dieu, laisse-moi pas.
– Ma mère, je vous aime, mais j’aime aussi ma femme, et je marcherai tant que la terre me portera et que la mer me mènera.
Il partit donc, à pied, le long de la grève. Il n’y avait ni chemin ni chemine. On suivait les grèves, les montagnes, les chemins de bêtes sauvages dans la forêt. Mais après deux jours de marche, il arriva sur une grève isolée où-ce qu’il aperçut trois animaux qui se battaient sur une carcasse de noyé. Un lion, un corbeau et une frémille se battaient sur ce cadavre pour avoir le meilleur morceau.
Dans ce temps-là les bêtes parlaient et comprenaient comme des êtres humains. Le jeune homme, voyant ces animaux, eut peur de se faire dévorer par le lion et fit un détour pour s’exempter de les rencontrer. Mais le lion l’éventa (avoir vent de...) et l’appela à lui.
– Mon jeune homme, viens ici, nous avons affaire à toi. Il s’en alla alors le trouver et lui demanda qu’est-ce que vous voulez de moi ? Ce qu’on veut de toi, c’est de te faire partager cette carcasse. On se bat entre nous autres pour qui aura le meilleur morceau.
– Je m’en vas faire mon possible pour vous débiter cette viande, reprit le jeune homme.
Après avoir pris son couteau qu’il avait dans sa poche et avoir enlevé le peu de chair qui restait sur les os, l’avoir mise de côté, avoir enlevé les os et les avoir mis à part et avoir fendu la tête en deux, il dit au lion :
– Toi, tu as des bonnes dents, tu vas manger les os. Toi, corbeau, tu as seulement qu’un bec, tu vas déchirer la chair. Toi, la frémille, tu vas manger la moelle, et, dans la carcasse de la tête, tu seras à l’abri du mauvais temps. Et il partit en se dépêchant à continuer sa route au cas d’être dévoré.
Après son passage, les trois animaux s’accordaient comme trois frères. Le lion dit :
– Savez-vous qu’on n’a pas été bien généreux pour ce jeune homme qui nous a si bien réconciliés ? On aurait pu lui donner chacun un don qui lui aurait peut-être servi le long de son voyage.
Ils le rappelèrent à eux autres et lui dirent :
– Tu nous as si bien partagé notre viande qu’on s’accorde comme trois frères et on t’a pas même remercié. On aurait aussi pu t’accorder des dons qui t’auraient servi le long de ton voyage.
Le lion s’arracha un poil de la queue et lui présenta.
– Avec ce poil, tu te souhaiteras en lion le plus fort et le plus capable de l’univers et de la manière que tu le voudras et à l’instant même tu le seras ; tu auras ton génie d’homme la même chose.
Le corbeau lui donna une de ses plumes en lui disant la même chose que le lion, qu’il pourrait se transformer en corbeau de n’importe quelle espèce. La frémille lui dit :
– Moi, je suis petite, je vas te donner une de mes pattes. Avec cette patte, tu te transformeras en frémille telle que tu le voudras.
Après avoir remercié les animaux et serré ses dons précieusement, il marcha pendant un certain temps, puis essaya ses souhaits. Il se souhaita en lion le plus gros et le plus capable de l’univers. Il lâchait des hurlements si terribles qu’il avait peur de lui-même. Il tordait comme des harts à clore des arbres d’une grosseur énorme. Mais tout cela ne l’avançait pas pour trouver celle qu’il cherchait.
Il courait dans les petits bois pourris quand, au jour, il sortit de peur de se perdre. Il se souhaita alors en homme. Mais il se dit, ça ne va pas assez vite, je vais prendre ma plume de corbeau et je vais me souhaiter en corbeau. Il prit sa plume et se changea en un corbeau qui allait le plus vite de l’univers, et il partit dans les airs. Il vola jusqu’à la tombée de la nuit. C’était quasiment tout le temps le même rivage qu’il suivait. Comme il était tard pour traverser cette mer qui était large à perte de vue, il se reposa sur le bord de la grève et se dit, quand il fera bien noir, je me mettrai en frémille et je me cacherai dans les bois pourris pour la nuit.
Mais peu de temps après qu’il se fut remis en homme, il vit venir sur la mer un aigle qui avait une terrible grosse tête et qui volait très bas. Rendu à peu près de cinquante pieds du bord du rivage, il tomba à l’eau. Le jeune homme se lança aussitôt à la mer jusqu’au cou pour aller tirer l’aigle et l’amener à sec.
– Si ç’a avait pas été de toi, lui dit-il, j’aurais perdu la vie. Je suis tombé à l’eau parce que j’étais mort de fatigue. T’es mon sauveteur.
– Mais dis-moi donc d’où-ce que tu d’viens ?
– T’apprendras que j’ai osé traverser cette mer. Et il y a seulement qu’une repose au milieu : une croix. La mer a cinq cents lieues de traverse ; ça prend d’être fort et capable pour la traverser. Tu vois, il me manquait à peu près cinquante pieds, sans ça je perdais la vie.
– Mais où-ce que tu vas, toi, mon jeune homme ?
– T’apprendras que je veux traverser la mer. Par quel moyen ? Par le moyen que je peux me transformer en corbeau. Comme je suis arrivé à la nuit ce soir, j’ai attendu pour coucher ici. Mais demain matin, je me souhaiterai en corbeau, celui qui va le plus vite de l’univers et je partirai et me reposerai sur la croix mentionnée.
– As-tu quelque chose à manger ici ?
– Non, mon bon aigle, j’ai rien à manger.
– Tu vas aller un peu à l’est du rivage. Tu vas voir un ép’lan qui a’terri ; tu vas aussi trouver un caplan. Tu les apporteras tous les deux et on les mangera.
Il partit après ce que l’aigle lui avait dit et, en arrivant un peu plus loin, il trouva un caplan et un ép’lan sur le bord de la grève. Un caplan, c’est pas ben gros, un ép’lan, c’est pas gros non plus. Tous les deux pour manger ça, ça nous en fera pas gros chaque. Moi qui a tant faim, m’a manger le caplan.
Après avoir mangé le caplan, il apporta l’ép’lan à l’aigle.
– T’as pas apporté le caplan, lui dit-il ?
– Il y en avait pas. Il y avait seulement que l’ép’lan, là.
– T’es-t-un trompeur. Il y avait un caplan et un ép’lan. Mais peu importe. On va se le partager.
Après avoir séparé l’ép’lan en deux, ils mangèrent et le jeune homme demanda à l’aigle où-ce qu’il allait.
– Je suis tellement fatigué, dit-il, que c’est impossible pour moi de revirer de bord à soir. Mais demain, nous ferons route ensemble. Je pensais de faire mon voyage bien plus long que je vais le faire. Mais je t’invite, tu pourras te reposer sur la croix où-ce que je vas me reposer moi aussi. On fera route ensemble.
Le jeune homme, qui était fatigué d’avoir marché déjà pendant de longs jours avant d’avoir eu ses dons s’endormit d’un profond sommeil. Il se réveilla comme le jour, mais l’aigle était parti.
– Dis-moi donc quoi-ce que ça veut dire ! De voir qu’il voulait traverser avec moi ! Mais peu importe.
Après avoir pris sa plume et s’être souhaité en corbeau, celui qui volait le plus vite de tout l’univers, il s’enleva dans les airs et partit sur ce grand océan, pour dire sans bornes. Rendu à midi, il vit la croix dans la mer. Il s’en alla se poser sur un de ses bras.
Quoiqu’il était corbeau, il avait son génie d’homme. Il se mit à examiner la croix.
– Dis-moi donc quoi-ce que ça veut dire d’voir une croix aussi éloignée dans cette mer !
Après avoir sauté d’un bord à l’autre sur la croix, il s’aperçut qu’au bout il y avait un petit trou qui descendait dans la croix. Un p’tit trou de ver.
Il se souhaita alors en frémille, prit le trou et descendit. Mais quand il fut rendu dans la profondeur de la mer, il trouva un escalier. Il le prit et descendit. L’escalier menait à un merveilleux château. Il prit le trou de la serrure et rentra dans le château. Il se mit à examiner et à parcourir les appartements d’un bord à l’autre. Mais à un moment donné, en entrant dans une chambre, ce qu’il aperçoit ? celle qu’il cherchait. Sa canarde amorphosée était dans ce château-là.
– Comment faire pour faire donner ma présence, se dit-il, sans que ma femme donne aucun éveil ! Je m’en vas attendre à-à soir, quand il fera noir, je me souhaiterai en homme, et ensuite de ça je lui parlerai.
Depuis que la princesse était arrivée de son voyage, son père était si terriblement fâché qu’il l’avait toujours gardée renfermée ; elle sortait plus comme ses sœurs.
Dans la nuit, après s’être souhaité en homme, le jeune homme se présenta au lit de la princesse, et, à sa grande surprise, elle lâcha un cri terrible.
– Ma mère, il y a un homme dans ma chambre ! ! !
La peur le fit alors remettre en frémille. Il n’eut pas le temps de lui dire que c’était lui.
– Quoi-ce qu’elle dit là, répondit le roi ? Malheureuse que t’es ! Le temps que t’as été partie, t’as assez vu les hommes que tu rêves à eux autres maintenant et que tu penses de les voir.
La reine prit la parole :
– Ah ! on sait pas, dit-elle, des hommes peuvent bien se présenter ici.
– Tâche donc de te taire, pauvre vieille folle ! Tu sais bien qu’il est impossible pour tout être humain de pénétrer dans ce château.
Dix minutes plus tard, le jeune homme, transformé une autre fois, s’approcha de sa femme qui lâcha encore un cri terrible.
Le roi, en fureur, lui dit :
– Si je t’entends encore dire que t’as vu un homme, ta mort est au bout.
– Tais-toi donc, vieux roi, lui dit la reine. Tu sais bien que ça se peut que notre princesse ait vu un homme. Tu sais ben que c’est impossible.
– Oui, ma reine, c’est impossible.
– Ah ! c’est une chose que je savais pas.
– Tu sais bien qu’on est amorphosés dans le fond de la mer pour toujours. Jamais qu’on sortira à travers de la civilisation.
– C’est la première fois que j’entends parler d’une chose semblable.
– T’apprendras aussi que c’est une grande ville qui est au-dessous de la mer. Si on était démorphosés aujourd’hui pour demain, ce serait la civilisation avec tout le monde entier. Tu reverrais les choses comme autrefois.
– Quoi-ce qu’il faudrait faire pour qu’on soit démorphosés ?
– Impossible de te le dire, ça sert à rien.
– Mais j’aimerais bien le savoir, reprit la reine.
Le roi se mit alors à lui raconter qu’à l’est d’où-ce qu’ils étaient actuellement, il y avait une île qui était cent cinquante lieues. À tous les sept ans, il venait un lion sur l’île, manger une population de petits nains qui vivaient là. Il s’en réchappe quelques uns qui se cachent assez bien en-dessous des roches ou ailleurs ; les autres sont tous mangés par le lion. Dans le corps de ce lion, il y a un pigeon. Dans le corps du pigeon, il y a trois œufs. Prendre ces œufs-là, en casser un sur la croix, l’eau baisserait d’en par le comble du château. Prendre le deuxième, le casser sur le comble du château, l’eau baisserait jusqu’aux fenêtres. Prendre le troisième, le casser sur une fenêtre, la ville reviendrait en réjouissance. On serait démorphosés. Mais c’est impossible pour ça, tu peux dormir.
Le jeune homme, lui, qui était dans la chambre, avait tout entendu. La troisième fois, en se présentant à sa femme, il lui dit, crie pas, c’est moi qui es rendu ici.
Après l’avoir reconnu, elle l’embrassa tendrement, de tout son cœur. Il lui dit alors :
– Je m’en vas partir à l’instant même. J’ai tout entendu de ton père le roi qui disait que vous êtes amorphosés dans le fond de cette malheureuse mer. Je m’en vas partir, j’ai des dons sur moi, je suis capable de me transformer en lion, en corbeau ou en frémille. C’est en frémille que je suis entré ici et suis venu à ta chambre.
– Te souviens-tu hier au soir, dit la princesse, il a été se présenter à toi un aigle.
– Oui, dit-il, je m’en souviens. Rendu presque au bord du rivage, l’aigle était tellement fatigué qu’il a tombé à l’eau. À cinquante pieds du bord.
– Si ça avait pas été de toi, il perdait la vie, tu l’as retiré avec bon cœur. T’avais ensuite faim, il t’a dit que sur le bord du rivage, un peu éloigné, il y avait ‘terri un caplan et un ép’lan. Il y avait ces deux poissons, tu en as mangé un. Si t’avais été franc, t’aurais pas toute la misère que t’es pour avoir. T’apprendras que l’aigle c’était moi. C’était le seul recours que j’avais pour tâcher d’être démorphosée. C’était aussi la seule planche de salut que mon père a pas déclarée : sortir en aigle, pour aller au devant de toi, afin que tu diriges ensuite tes pas ici. Là tu vas t’en aller, mais je vas prier pour toi pour que tu réussisses dans ton entreprise.
– Sois pas occupée. Avant qu’il soit demain soir, je te promets que tout sera démorphosé.
Après avoir pris, sous forme de frémille, le petit chemin qui montait dans la croix, il arriva sur la croix et se souhaita en corbeau. Il dirigea sa volée vers l’est pour aller se poser sur l’île où-ce que les nains étaient en cris et en pleurs. Le lendemain matin, à l’aurore du jour, le lion infernal devait venir tous les dévorer.
Après s’être transformé en homme, il vit ces pauvres petits nains qui pleuraient, qui se cachaient partout, qui montaient dans les arbres les plus longs qu’ils pouvaient trouver.
– Pleurez pas, mes petits nains, je suis venu pour vous défendre.
– Monsieur, vous allez vous faire dévorer comme nous tous. Vous apprendrez qu’il y a des rois puissants qui ont envoyé des mille et des mille soldats sous les armes pour venir nous protéger. Ils ont tous été dévorés ; personne s’est réchappé.
Après avoir passé la nuit sur l’île, vers quatre heures du matin, à la pointe du jour, il prit son poil de lion et se mit à se faire des souhaits. Je me souhaite le lion le plus gros, le plus fort, le plus capable de tout l’univers, qu’aucun autre lion soit capable de venir à bout de moi.
Étant sur le bord du rivage, les nains eurent peur de lui. Car il se mit à faire des sifflements énormes. Mais aussitôt il entendit le lion qui devait venir dévorer les nains faire des sifflements pour lui répondre. Ils se rencontrèrent tous les deux et la bataille s’est engagée. Ce fut terrible sur le bord de l’île. Les hurlements les plus épouvantables se firent entendre. Ç’a pris trois heures pour venir à bout de combattre le lion. Et après l’avoir tué, il se remit en homme ; il était terriblement fatigué, mais bien content de voir qu’il avait réussi à détruire ce lion si gros et si redoutable.
Il se fit alors aider par les petits nains qui pleuraient de joie de voir qu’ils avaient eu leur liberté. Jamais qu’ils seraient dévorés. Ce serait Dieu qui les rappellerait à Lui quand il le voudrait. Après s’être fait aider à virer le lion sur le dos, il prit son couteau de poche et fendit le ventre du lion. Il entendait déjà le pigeon voltiger dans la panse. Après l’avoir ouverte, il prit le pigeon dans ses mains ; il l’ouvrit et trouva les trois œufs, comme il était indiqué.
Après les avoir enveloppés dans un morceau de linge, il dit adieu à ses petits nains et se souhaita en corbeau. Il tint le paquet dans ses pattes et il prit sa volée vers la croix. Vers midi, tout l’ouvrage était fait et il se posait sur la croix. Après avoir ouvert son paquet avec précaution, il prit avec sa patte un œuf qu’il cassa sur la croix. La mer baissa aussitôt jusqu’au comble du château. En prenant son deuxième œuf qu’il cassa sur le comble du château, l’eau baissa d’en par les fenêtres. En cassant le troisième sur une fenêtre, la ville se trouva en réjouissance. Le monde allait, venait, les pavillons flottaient sur tous les châteaux, il y avait rien de plus beau à voir.
Mais ce pauvre malheureux jeune homme qui était dans la rue se trouvait dans un rêve. Il ne pouvait plus dire où-ce qu’il était. Mais comme il arrivait à la porte d’un beau château, il se présenta. Il y avait sur le balcon un homme haut placé, avec un habit doré et un bonnet sur la tête qui était couvert d’or. Chaque côté de lui, il y avait sept princesses.
Il alla tout droit se présenter au roi, se prosterna en lui faisant une grande révérence :
– Bonjour, sire, mon roi !
– Bonjour, mon jeune homme.
– Je me présente à vous pour savoir une chose. Vous apprendrez qu’il y a un seul instant que je suis rendu ici. J’ai parcouru bien des pays ; j’ai eu beaucoup de misères. Je suis venu prendre une information de vous ; pour moi, elle est nécessaire. Avez-vous jamais été amorphosé, sire, mon roi, au fond d’une mer ?
Mais le roi, comme s’il eut sorti d’un songe, lui dit :
– Oui, mon jeune homme. Je me souviens à l’instant même où tu me le dis, que nous avons passé plusieurs années au fond d’une mer. Et il était impossible pour nous d’en sortir.
– Vous aviez sept princesses, sire, mon roi ? Pour avoir été amorphosées sous cette mer, elles étaient obligées de sortir pour aller se baigner dans un lac, sur une montagne où-ce qu’il y avait beaucoup d’or ?
– Oui, dit-il, mon jeune homme.
– Eh ! bien, vous apprendrez que j’étais sur cette montagne un jour et que c’est moi qui a ravi l’habit de votre jeune princesse pour me faire transporter à la maison de ma mère. Et je l’ai gardée plusieurs mois avec moi. La nuit, elle était princesse et le jour, elle était canarde. Par un malheur inexplicable, ma canarde s’était enlevée la veille du jour où elle était pour être princesse jour et nuit. Je suis alors parti de la maison de ma mère, que j’ai laissée avec grand regret, pour marcher vers celle que mon cœur aimait. J’ai parcouru les grèves isolées, les chemins de bêtes féroces dans les forêts. Et je me suis rendu un soir au bord de la mer, où-ce qu’un aigle est venu faire ma connaissance. Il m’a dit que sur cette mer, sur cet océan pour mieux dire, il y avait une croix pour se reposer.
Encouragé, je suis parti le lendemain matin, parce que j’avais des dons, le bon Dieu avait voulu me favoriser. Je me suis souhaité en corbeau et transporté sur la croix. J’avais mon génie d’homme, et après avoir examiné, j’ai vu qu’il y avait un trou qui descendait dans les profondeurs de la mer. Après l’avoir pris et suivi, j’ai trouvé un château, et dans le château, celle que j’aimais et qui était ma femme. Aujourd’hui, c’est moi qui vous a démorphosés après avoir abattu le lion sur l’île que vous avez nommée dans la nuit que votre jeune princesse avait vu un homme. Dans cette nuit de joie et de bonheur pour moi, quand vous avez expliqué à la reine que ce lion mangeait les petits nains et que dans son corps il y avait un pigeon et dans le pigeon, trois œufs. Casser un œuf sur la croix ferait descendre l’eau jusqu’au comble du château. En casser un autre sur le comble, ferait baisser l’eau jusqu’aux fenêtres. En casse un troisième, mettrait la ville en réjouissance.
Le roi, ayant reconnu tout ce que ce jeune homme avait fait pour eux, prit la main de sa jeune princesse en lui présentant, et là, il les unit pour toujours. Ils ont vécu toujours heureux ensemble. Le jeune homme s’en alla trouver sa vieille mère et la ramena au château pour partager leur bonheur.
Raconté par M. Léon Collins,
St-Joachim-de-Tourelles.
Recueilli par Carmen ROY, Cap-Chat.
Paru dans L’Amérique française en 1948-1949.