Le mont Valérien, 14 septembre 1829
par
Mme de SAINT-SURIN
Les montagnes se répondent.
ISAÏE.
À Mlle G. S.
Le mont Valérien gardait encore ses touchantes solennités, la cloche de la haute maison de Dieu appelait au loin les humbles fidèles el les échos du saint Calvaire prolongeaient l’appel religieux, et l’on voyait se peupler de suppliants toute la solitude bénite : on eût dit, pendant les douloureuses fêtes, une ville agenouillée, une ville du céleste royaume ; car les pauvres en ouvraient les portes et ils étaient en grand nombre, tendant la main à ceux d’entre leurs frères qui faisaient le pieux chemin pour invoquer Dieu. Les pèlerins s’avançaient lentement entre les deux haies protectrices, et une illustre princesse suivait comme une simple femme la sainte procession, ne se laissant reconnaître qu’à ses aumônes, tant cette fille sublime du grand martyr abaissait sous la prière la double couronne de son front royal.
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On était alors au mois de septembre. La fête de l’exaltation de la sainte Croix, le sermon d’un célèbre missionnaire arrivé de Jérusalem, et peut-être aussi quelques causes moins célestes, attiraient la foule ce jour-là sur le coteau chrétien.
D’’après le témoignage des pèlerins venus de Jérusalem, le véritable Calvaire où J.-C. fut crucifié est reproduit sur le mont Valérien ; trois croix sont plantées à la cime de la montagne, et la plus élevée est celle du Sauveur des hommes. Les historiens sacrés rapportent que sainte Hélène, l’épouse de l’empereur Constantin, reconnut la vraie Croix aux signes miraculeux qui se manifestèrent, lorsqu’on exhuma ce signe du chrétien de la profondeur de la terre ou il avait été englouti.
L’église est bâtie sur le plateau ; sa porte principale est située vis-à-vis les croix ; de chaque côté de l’église sont des bâtiments occupés par des prêtres dont les fonctions charitables rappellent celles des religieux du mont Saint-Bernard ; tous les fidèles qui s’y présentent reçoivent l’hospitalité, et les indigents peuvent s’asseoir durant plusieurs jours à la table chargée des aumônes du riche.
Le jour se levait à peine, lorsque deux jeunes amies, Marie et Thérèse, se réunirent pour gravir le sentier étroit et tortueux de la montagne ; elles s’arrêtèrent plusieurs fois pour admirer le spectacle imposant des monuments que renferme la première ville du monde, et que, du milieu de la colline, on peut apercevoir de loin dominant avec orgueil le vaste horizon : ce magnifique dôme d’or des Invalides, les tours de Notre-Dame d’une architecture si religieuse que l’âme, en les contemplant, éprouve de calmes et célestes inspirations ; Sainte-Geneviève, dont les premiers rayons du jour faisaient étinceler la croix ; le portique élevé de Saint-Sulpice, si élégamment ciselé, et cet amas de demeures si diverses !!! Riches palais, hôtels somptueux, asiles modestes, humbles retraites où l’infortune attend des secours. Qui pourrait énumérer les immenses populations que vous avez vu se succéder ; hélas ! nous ne serons plus bientôt nous-mêmes qu’un souvenir jeté au gouffre du passé, qui doit engloutir encore tant de générations futures !....
Les deux amies se plaisaient à rapprocher le plus saint des sentiments, la religion, de tout l’éclat de cet orgueil humain. Il semble que sur les hauteurs, l’âme ait plus de vie, plus d’extension ; on dirait qu’il y a sympathie entre la pureté de l’âme el celle de l’air.
Le ciel brillait en ce moment de toute la splendeur d’un beau soleil qui, s’étendant sur la montagne, lui donnait l’aspect lumineux d’une vision céleste. – En vérité, disait Thérèse à Marie, c’est expier ses péchés et mériter bien aisément des indulgences ! – Quand elles furent sur le sommet de la montagne, dans l’enceinte des bâtiments, la nouvelle Babylone disparut à leurs regards, les insignes d’un culte édifiant remplaçaient en ce saint lieu les objets profanes, sous une allée d’arbres verts, on voyait des marchands étaler des deux côtés de pieuses offrandes.
Les différentes stations que fit J.-C. au jardin des Oliviers, sont représentées de distance en distance autour de la colline ; les fidèles s’y rendaient pour prier dans un grand recueillement. Là on oubliait Paris, et le monde, car il était impossible de ne pas éprouver une émotion profondément religieuse. Les beaux yeux bleus de Marie semblaient faire un appel au ciel, sa pensée était un mélange de pieuses craintes et de saintes espérances, elle soupirait, le cœur embrasé d’amour divin, et chantait en actions de grâces.
Une petite chapelle, mystérieuse et sombre comme l’intérieur d’un tombeau et attenante à l’église, sert de passage aux fidèles qui désirent aller visiter le saint Sépulcre, représenté par une voûte imitant le roc creusé, dans lequel le Sauveur fut déposé, après avoir été descendu de la croix. Aucun chrétien n’ignore que la pierre mise par les juifs, pour en sceller l’entrée, se fendit en deux le troisième jour de la résurrection ; les saintes femmes pénétrèrent par cette issue dans le divin Sépulcre, et ne trouvant pas celui qu’elles cherchaient, elles s’en retournèrent à la ville de Jérusalem, célèbrent avec une foi vive la puissance de Dieu.
Au mont Valérien, l’ouverture du tombeau est également formée par une pierre séparée en deux, à travers laquelle on peut à peine se glisser. Cependant tout le monde se presse autour de la pierre brisée, tous désirent pénétrer dans le saint Sépulcre, afin d’aller recevoir humblement les indulgences attachées à cet acte de dévotion.
Malheureusement, à côté même de ce qu’il y a de plus grand, se montre toujours la faiblesse de notre humanité ; la réalité ne suffit pas pour satisfaire l’avidité qu’ont les hommes de tout ce qui est merveilleux, leur imagination s’égare dans le surnaturel et se plaît à se créer des fictions de prodiges. À l’instant où les deux amies se présentèrent pour aller méditer dans cette tombe, berceau d’une vie céleste, une bonne dame à qui son âge et l’air de ferveur qui animait ses discours donnait une sorte de supériorité sur les pieux assistants, exhortait à s’éloigner ceux qui n’avaient pas la conscience pure ; car, ajoutait-elle, les deux fragments de la pierre, en se rejoignant, feraient sur-le-champ justice d’une coupable présomption.
Ces paroles, l’influence du lieu où elles étaient prononcées, parurent troubler quelques esprits timides, plus d’un jeune front se colora, et l’on vit deux jeunes filles, le cœur gonflé de soupirs, quitter la chapelle et aller se prosterner humblement, sous le portique du temple du Seigneur : la foi craintive est compagne de l’innocence.
– Eh bien ! dit Thérèse à Marie, qui depuis un instant restait debout immobile près de l’issue miraculeuse : – Eh bien ! est-ce donc que tu ressens quelques craintes à tenter la pieuse épreuve ? À ces mots, Marie silencieuse et recueillie se baissa et pénétra dans la grotte religieuse où Thérèse la suivit !
Le saint Sépulcre qu’elles visitaient est peu spacieux et d’une forme carrée ; une innombrable quantité de lampes, qui brûlent nuit et jour, y entretiennent une pâle clarté ; ces lampes, disposées avec une symbolique symétrie, sont une imitation parfaite de celles qui éclairent à Jérusalem le vrai Sépulcre, et que la pieuse munificence des souverains de la terre a offertes en hommage au roi des rois.
Vers les trois heures du soir, heure solennelle pour les chrétiens, le vieux prêtre, revenu de Jérusalem, se plaçant au pied de la croix nouvelle comme pour recevoir appui et forces du bois sauveur, commença à distribuer au peuple attentif le pain de la parole éternelle. Le mystère de la Rédemption, ce miracle de l’amour divin, fut le sujet de l’exhortation ; l’onction céleste ne manqua point à sa voix, car il parlait du jardin des Oliviers que lui-même avait parcouru ; et lorsque le missionnaire, se jetant à genoux, eut fait descendre la bénédiction du ciel sur tous les fronts inclinés qui l’entouraient, Thérèse et Marie se relevèrent fortes d’innocence et de foi, et redescendirent la montagne en répandant les consolations et les offrandes de la charité.
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14 septembre 1833.
Quatre ans se sont écoulés, les croix du mont Valérien n’existent plus ; mais les deux amies se sont retrouvées sur la colline de Montmartre, au milieu des mêmes solennités.
Les montagne se répondent : livrez donc une guerre à mort à la croix, mettez la cognée à la racine de l’arbre vieilli ; mais tenez-vous loin, bien loin ; car dans sa chute le grand arbre vous écraserait votre univers, insensés ! Ne voyez-vous pas que cette racine a été jetée dans les fondements du ciel, ne lisez-vous pas sur ce signe, monument funèbre du crucifié : concession à perpétuité, concession de liberté, de vie, de jeunesse, de fécondité, de puissance, de miséricorde, de rédemption ? insensés ! Ne savez-vous pas que si vos enfants taisaient ses louanges, les pierres elles-mêmes les raconteraient ? Oui certes, les montagnes se lèvent à sa gloire et se renvoient de l’une à l’autre l’hosanna suprême, le salut au fils de David !!!...
Mme de SAINT-SURIN.
Paru dans Écho de la jeune France en 1833.