La fée dans le micro
Une Fée qui musait un soir le nez en l’air
sur les collines de l’éther,
s’entortilla si bien dans le lacis des ondes
qu’enroulait tout autour du monde
un puissant Poste de Radio,
que perdant sa baguette avec son équilibre
elle tomba en chute libre
au sein rembourré du studio
avec un bleuâtre vacarme
et coupa le sifflet net au Chanteur de charme !
Le Directeur du Poste accourant aussitôt
dut admettre à regret la Belle, et le prodige...
Lors la jeune égarée lissant d’un doigt coquet
ses cheveux embrouillés au cours de la voltige,
lui dit fort simplement : « Messire, s’il vous plaît,
où suis-je ?
– Mademoiselle, j’ai l’honneur
de vous accueillir chez les hommes.
– Les Hommes ! Merlin, quelle horreur !
Ô pardon !... mais je ne sais comme
telle chose a pu m’advenir...
J’ai gardé mauvais souvenir
de mon séjour sur votre terre.
Les Hommes nous chassaient de nos bois, de nos pierres...
tant que Merlin se mit à la fin en courroux
et nous fit déménager tous.
– À vrai dire, à Polytechnique,
on ne m’avait point dit ces détails curieux...
– Je ne sais ce que peut être la chose en ique,
mais je l’ai bien vu de mes yeux !
Et d’ailleurs votre race eut tout loisir, je pense,
de regretter notre départ,
puisque avec lui Merlin emporta le Grand Art
et les secrets de Quintessence.
Jadis, à volonté, les hommes s’envolaient...
Bon... Qu’avez-vous donc à sourire ?
Ce que je vous raconte est absolument vrai !
– Hé bien, puisqu’il faut tout vous dire,
Mademoiselle, apprenez donc que les humains
se sont très bien passé des secrets de Merlin.
Ils volaient, dites-vous ? Possible. Mais ils volent
à présent. Et je crois cent fois plus vite et mieux !
– Vous me contez des fariboles ! ?
– Pas du tout ! C’est très sérieux !
Et même
j’ajouterai qu’ils ont résolu des problèmes
si subtils et si ténébreux,
qu’aujourd’hui les exploits de l’Enchanteur nous semblent
je m’en excuse... un peu... vieux jeu !
– Par exemple !
Les exploits de Merlin... ses travaux merveilleux
vous paraissent un peu vieux jeu !
C’est d’une belle impertinence !…
... Sans doute, comme Lui, supprimant les Distances
vous parlez à Paris quand vous êtes à Rome ?
– Mais oui, Mademoiselle ! Et par le Téléphone !
– Votre Double s’en va errer ici ou là ?
– C’est un vieux truc ! Nous l’appelons le Cinéma !
– ... Le Langage des astres à vos cœurs se dévoile ?
– Nous écoutons chanter, s’il nous plaît, les étoiles !
– ... Vous tirez d’une Fève un Carrosse complet ?
– De la Fève un Rubis, de l’Étoffe ou du Lait !
– ... En vérité, Monsieur, faut-il ici vous croire ! ?
Ciel ! l’antique Trésor des Fées et des Lutins
aurait-il donc passé maintenant dans vos mains...
et les Clefs de la Grande Armoire ! ?
... Mais alors ! Que deviendrons-nous ! ?
Va-t-il falloir encor aller je ne sais où
pour nous mettre à l’abri de vos pieds détestables ?
Ah si la chose est vraie, j’en suis sûre, le Diable
y est pour plus des quatre quarts !
Mais j’y songe... Merlin... Non ! Rien n’est perdu car
il me revient soudain qu’Il porte sur Lui-même,
à son cou suspendue, toujours une clef d’or
verrouillant le coffret suprême,
et sans lequel tout le Trésor,
apprenez-le, Messieurs les Hommes,
vaut si peu qu’autant dire rien !
Et fait plus de mal que de bien !
Vous avez dérobé la Baguette et les Fioles ;
pratiquez le Grand Art et les Enchantements ;
conversez à distance ou volez couramment...
Mais vous ignorez tous que les Élémentaires
libérés par vos mains sauront vous asservir,
car Merlin jusqu’ici connaît seul la manière
bénéfique de s’en servir. »
SAMIVEL, Chapeaux pointus, suivi de
80 autres fables françaises, Stock, 1945.