Vive saint Nicolas

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

L.-F. SAUVÉ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le matin de la Saint-Nicolas, tout jeune homme désireux de se marier ne doit pas manquer de dire en se levant :

 

Saint Nicolas,

Qui mariez les filles avec les gars,

Ne m’oubliez pas !

 

Les femmes stériles invoquent saint Nicolas pour avoir des enfants, les femmes enceintes pour en obtenir de beaux, les filles pour trouver des maris.

Le matin de la Saint-Nicolas, on s’expose à devenir, à bref délai, la victime d’un incendie, si l’on se lève avant le jour.

Un cultivateur, raconte-t-on à Vecoux, qui avait négligé cette sage précaution, était en train de battre son blé dans sa grange, quand il se vit tout à coup environné de flammes. Déjà, il se jugeait perdu, lorsque, comprenant un peu tard sa faute, il implora saint Nicolas et s’engagea à faire un pèlerinage en son honneur, s’il le mettait hors de péril. Sa prière fut entendue, et le feu s’éteignit aussitôt, comme par enchantement.

Saint Nicolas, patron de la Lorraine, est particulièrement cher aux montagnards vosgiens ; sa statue est dans toutes les églises, son image dans toutes les maisons. « Celui-là n’est pas bon chrétien, dit-on, qui ne se rend une fois au moins dans sa vie en pèlerinage à Saint-Nicolas-de-Port, auprès de Nancy. » Voir la superbe et miraculeuse église que le saint possède en ce lieu, y faire brûler un cierge, y déposer une pieuse offrande est le rêve de toutes les jeunes filles. Quand l’une d’elles est assez heureuse pour accomplir ce beau voyage, son retour est tout un événement. On l’embrasse à l’étouffer, on l’obsède de questions, chacun veut entendre par le menu le récit des merveilles qu’elle a contemplées. Il va sans dire que le désir d’aller en dévotion à Saint-Nicolas-de-Port ne tourmente pas seulement les jeunes, et que les pèlerins se recrutent parmi les gens de tout âge et de toute condition. Si les jeunes sont plus écoutés que les autres, c’est qu’ils ont l’admiration plus facile et sont plus expansifs.

Autrefois, les pèlerins ne se contentaient pas de rapporter, comme souvenir de leur pèlerinage à Saint-Nicolas-de-Port, des croix, des médailles, des images, des chapelets, ils s’approvisionnaient encore en ce lieu de cornets en bois qui avaient, lorsqu’on soufflait dedans, la vertu d’éloigner les orages. Ces curieux instruments, qui ont un faux air de la trompe des Alpes, ont été, par ordre supérieur sans doute, retirés du marché. On n’a pas pourtant renoncé à en faire usage. Si l’on ne peut plus s’en procurer dans les maisons qui tiennent, à Saint-Nicolas-de-Port, les articles de dévotion, il est encore dans nos campagnes quelques sorciers habiles pour lesquels leur fabrication n’a point de secrets. En y mettant le prix, on peut toujours s’en procurer chez eux, et l’on assure que ces cornets, lorsqu’ils ont reçu la bénédiction d’un prêtre, valent les anciens, sinon mieux. Il n’est guère de fermes, sur les marches de la Franche-Comté, où les cornets bénits, dits cornets de Saint-Nicolas indulgencier, n’occupent une place d’honneur. Cependant, depuis quelque temps, un certain nombre de trembleurs s’avisent de les cacher. Quelques-uns même seraient disposés à s’en défaire ou à les détruire. Il paraît, en effet que, dans ces derniers temps, si ces braves gens sont parvenus, en soufflant fort dans leurs cornets bénits, à se préserver des orages qui les menaçaient, ce n ‘est qu’en les déplaçant, en les envoyant ravager les biens de leurs voisins des communes limitrophes, lesquels se plaignent d’être ainsi maltraités, et parlent de mettre la justice en mouvement, pour obtenir réparation des dommages qui leur sont causés.

Saint Nicolas est le conseiller, le protecteur, le bienfaiteur des enfants sages, le juge et le correcteur des enfants dissipés ou désobéissants. La veille de la fête de ce bienheureux, à l’heure où la nuit tombe, il n’est pas rare de voir entrer, dans les maisons où se trouvent des enfants, un vieillard vénérable, à la longue barbe blanche, portant la mitre et la crosse des évêques.

– À genoux ! c’est le saint, le grand saint Nicolas qui vient, en personne, rendre visite à ses petits amis. Il n’est pas seul, un homme de mauvaise mine l’accompagne, courbé sous le poids d’une large hotte des profondeurs de laquelle s’élèvent des cris étouffés, des plaintes, des sanglots. Ce sombre personnage qui, d’une main, tient une verge et, de l’autre, agite une sonnette, tout le monde l’a bientôt reconnu, c’est le père Fouettard, de terrible mémoire. Si sa charge est aussi lourde, c’est qu’il a déjà recueilli sur sa route, comme il vous l’apprendra, une demi-douzaine de méchants garnements. Il y en a tant dans le monde, aujourd’hui !

Cependant, saint Nicolas a commandé le silence, et, s’avançant vers les enfants, commence à les interroger. Bien sûr qu’il y a parmi eux des polissons, des vauriens, des gueux ?... Non ? bien vrai ? pas un seul ? Allons, tant mieux ! Mais savent-ils au moins leurs prières ? Il s’en assure. Travaillent-ils bien ? Donnent-ils à leurs parents du contentement ?

Il serait inutile de chercher à le tromper : il a un petit doigt qui lui dit tout, et, si la mémoire des enfants est infidèle, la sienne ne l’est pas. La confession se poursuit, timide, hésitante. À certains aveux difficiles, le saint paraît soucieux, quelquefois consterné. Ah ! de quels trésors d’indulgence il faut qu’il ait le cœur rempli pour ne pas livrer sur l’heure les coupables, en présence desquels il se trouve, aux justes rigueurs du père Fouettard !

Mais la marmaille est humble, honteuse, repentante ; il se laisse toucher par les larmes, les essuie et, au lieu de paroles de menace et de colère, n’a sur les lèvres que des paroles de pardon. Il fait mieux : pour encourager les pauvrets à persévérer dans leurs sages résolutions, il leur distribue généreusement des friandises, toutes sortes de jouets. Ah ! le bon saint ! le généreux saint ! Comme on a bien raison de l’aimer et d’attendre sa venue avec impatience ! Mais l’heure passe et saint Nicolas a un long voyage à faire cette nuit : il se hâte donc de donner une dernière bénédiction à l’assistance, et, après s’être assuré que son deuxième compagnon, un âne superbe, l’attend toujours devant la porte, il s’éloigne en criant : « Au revoir ! »

Saint Nicolas a de si nombreux amis qu’il ne peut, assurément, les visiter tous avant l’heure où le sommeil les surprend. Qu’à cela ne tienne ! Il ne néglige et n’oublie personne pour autant. Les enfants près desquels il ne se rendra pas dans la soirée, il les passera en revue dans le courant de la nuit. Heureux ceux qui auront mérité ses bonnes grâces ! À leur réveil, ils trouveront dans la cheminée – c’est par là que saint Nicolas entre dans les maisons et en sort, quand les gens sont endormis –, ils trouveront, en pain d’épice, l’image de leur bienfaiteur monté sur son âne, de merveilleuses dragées semblables à des œufs d’oiseaux, des polichinelles, des poupées, des livres, enfin tout ce qu’ils ont rêvé de meilleur et de plus beau. Peut-être bien, au milieu de toutes ces surprises, découvriront-ils une verge, mais si petite et garnie d’un si beau ruban rose ou bleu ! Ce n’est pas une menace, non : une simple recommandation de bien faire, tout bonnement. Quelle différence entre eux : les enfants sages et les méchants, les menteurs, les rapporteurs, les paresseux ! Ces derniers trouvent aussi une verge dans la cheminée, maïs une verge toute seule, toute nue, toute hérissée de piquants. Rien auprès d’elle, rien.

Saint Nicolas est pour les enfants, dans les Vosges, le plus grand saint du Paradis. Il n’est guère de parents qui ne soient tentés de penser un peu comme eux. Quel saint pourrait donc se flatter de faire chaque jour autant de miracles ? La plupart du temps, il suffit de prononcer le nom de saint Nicolas, d’évoquer son souvenir, pour rendre aussitôt docile le bambin le plus insoumis, tranquille le plus turbulent, sérieux le plus étourdi. Il n’est pas une mère qui n’obtienne de son enfant tout ce qu’elle voudra, si elle s’avise de lui dire, quand il lui prend fantaisie de faire le récalcitrant :

 

Saint Nicolas rèwaude las éfants

Qué n’sont ni méchants,

Et las peuts gahhons

Sot pris di buhon.

 

(Saint Nicolas veille sur les enfants – qui ne sont pas méchants, – et les mauvais garnements – sont pris par la buse.)

 

 

 

L.-F. SAUVÉ, Le folklore des Hautes-Vosges, 1889.

 

Recueilli dans Contes populaires et légendes de Lorraine, 1976.

 

 

 

 

 

 

 

 

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