Voleurs, méfiez-vous !

 

 

 

 

 

 

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L.-F. SAUVÉ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Saint Pierre-ès-Liens, dont la fête se célèbre le premier jour d’août, fait recouvrer les objets volés. Les gens qui ont vraiment la foi ne l’invoquent jamais en vain, mais de toutes les oraisons et conjurations destinées soit à garder les propriétés de l’atteinte des voleurs, soit à arrêter ceux-ci, à les clouer sur le lieu du crime, à leur faire rendre gorge, celles qu’il écoute le plus volontiers sont les suivantes :

– La Sainte Vierge, après ses couches, s’en alla au jardin des Olives. Trois anges avec saint Pierre l’attendaient : saint Michel, saint Gabriel et saint Raphaël. La Sainte Vierge leur dit : « Voilà trois faux Juifs qui veulent voler mon enfant... Saint Pierre, barrez ! Saint Pierre, barrez ! » Saint Pierre répondit : « J’ai déjà barré avec des barres de fer. Voleur ou voleuse, tu resteras là comme un tronc, tu regarderas là comme un bouc, tu compteras toutes les étoiles du ciel, toutes les gouttes d’eau et tous les grains de sable qui sont dans la mer, tous les flocons de neige et toutes les gouttes de pluie qui tombent dans un an. Si tu peux les compter, tu t’en iras ; si tu ne peux pas, tu resteras. »

Répéter cette prière trois fois, en faisant trois fois le tour du jardin ou de la propriété que l’on veut garder, et, après avoir tracé une croix au milieu d’un cercle, s’engager à faire dire une messe tous les ans, le jour de la Saint-Pierre-ès-Liens.

 

Vous a-t-on dérobé quelque chose et voulez-vous connaître le larron, écrivez séparément, sur de tout petits morceaux de papier, les noms des gens qui sont dans la maison suspecte ou dans le voisinage, maîtres, valets et autres ; jetez ces billets dans une poêle d’airain remplie d’eau claire et dites : « Je te conjure, ô Nazarde arrogani labilaf parandomo az igola maracta tomisraudag eptaleton lamboured, de me faire connaître le larron. »

Si le nom de celui-ci est dans la poêle, il viendra aussitôt à la surface de l’eau, et si le billet sur lequel il est écrit ne monte pas seul, les autres noms seront ceux de ses complices.

 

Si la trace du pied du voleur est restée sur le lieu du vol, procurez-vous trois clous provenant d’un fer à cheval ; allez ensuite au cimetière en chercher un quatrième, parmi les débris de cercueil, et plantez ces quatre, clous dans le pas du voleur. En quelque endroit que puisse être celui-ci, il se sentira comme cloué au sol, tombera immédiatement malade et ne pourra recouvrer la santé qu’après restitution des objets dérobés.

Ces moyens de rentrer en possession de son bien ne sont pas les seuls.

Un homme de Ventron eut, un jour, une pièce de toile volée sur le pré où il l’avait étendue pour la blanchir. Il courut à Cornimont consulter un devin.

– Reprends vite le chemin de ta maison, lui dit celui-ci, tu passeras par le cimetière et ramasseras, sur la tombe de la dernière personne enterrée, une poignée de terre que tu emporteras chez toi, en marchant à reculons. À ton arrivée, tu feras un bon feu, tu y jetteras la poignée de terre sainte et prêteras attentivement l’oreille aux bruits qui s’élèveront de la flamme pétillante. Ces bruits, ces craquements, rapprochés les uns des autres, reproduiront exactement le nom du voleur que tu veux connaître. S’il te plaît alors de te venger de lui, tu le pourras : il te suffira d’exiger seulement que la tête du misérable tourne comme le soleil. Elle ne reprendra sa position naturelle que lorsqu’il te conviendra de le permettre.

L’épreuve réussit à merveille. Le soir, assure-t-on, le voleur eût cherché vainement à voir ses genoux, mais il découvrait sur la face opposée des choses qu’il n’avait jamais aperçues jusque-là. La posture n’était pas seulement incommode, elle devenait douloureuse. Le voleur rentra en lui-même et comprit tout. Il reporta sur l’heure la pièce de toile à l’homme auquel il l’avait dérobée, et obtint de lui, à force de supplications, qu’il mît fin à son supplice.

 

On peut encore arriver à connaître les voleurs, à retrouver et à suivre leurs traces, à l’aide de la baguette divinatoire, laquelle fait, de plus, découvrir les sources et les trésors cachés. Vous plairait-il d’en avoir une à votre service, cherchez un coudrier de deux ans, et détachez-en une baguette fourchue dont les deux branches soient de l’année. L’opération doit se faire ainsi : pendant que vous tiendrez de la main droite la baguette que vous aurez choisie, vous la couperez de la main gauche, à l’aide d’une serpette, en trois coups donnés de haut en bas, avant le lever du soleil, et vous direz, quand elle cédera : « Adonaï, semile furca simultarum. » Lorsque vous voudrez faire usage de votre baguette, saisissez-la des deux mains par le manche, et, après avoir dressé la fourche en l’air, récitez à nouveau l’invocation à Adonaï. Vous n’arriverez pas plus tôt sur un chemin fraîchement suivi par un voleur, ou sur l’emplacement d’une source ou d’un trésor, que la fourche, violemment agitée, rapprochera ses deux pointes et s’inclinera vers la terre.

Les voleurs sont gens prudents ; pour faire leurs coups impunément, voici comment ils opèrent d’ordinaire : ils se procurent le doigt d’un enfant mort-né, étendent dessus une mèche de fil de même longueur, et enduisent ensuite le tout de cire vierge. Quand ils arrivent à la porte de la maison qu’ils se proposent de dévaliser, ils allument ce cierge de nouveau genre. Si la flamme tient bon, ils peuvent aller de l’avant ; si le doigt, au contraire, refuse de brûler, il y a des gens éveillés dans la maison et il ne reste plus aux voleurs qu’à tourner les talons. C’est ce qu’ils ne manqueront jamais de faire, si vous vous recommandez à saint Pierre-ès-Liens.

 

 

L.-F. SAUVÉ, Le folklore des Hautes-Vosges, 1889.

 

Recueilli dans Contes populaires et légendes de Lorraine, 1976.

 

 

 

 

 

 

 

 

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