Récit de l’an zéro
EXTRAIT
À Yves de Bayser.
Ils se rencontrèrent au bord d’un bassin
pour donner à boire à leurs montures par nuit claire
trois Mages et trois chevaux
Mais lorsqu’ils se penchèrent
ils se multiplièrent
ils furent six dans l’eau.
Six Mages et six chevaux
voilà le premier miracle !
Or quand ils furent en selle
Mages (et chevaux) volontiers reconnurent
avoir été dupes de leurs images
par nuit claire
Ils rirent (et en convinrent)
au souvenir de l’eau.
En attendant l’Étoile avait disparu
et lorsqu’ils levèrent la tête
le ciel était brillant et absent.
L’Étoile était accrochée à un figuier
derrière une feuille
(bâillant une figue l’avait retenue).
L’arbre cette nuit fut bel et bien battu
par trois personnages barbus.
Ainsi fut délivrée l’Étoile captive
au milieu de hennissements et de cris
(et sans égards pour les vertus
d’un arbre centenaire).
L’Étoile glissa sur un rail
et reprit sa course
laissant sur le figuier transi
une laine blanche.
Devant la bonté de l’Étoile brillante
ils eurent remords d’avoir
maltraité un vieil arbre
et s’en excusèrent auprès de leurs ombres
(étant seuls et faute de mieux).
Les voilà à leur tour partis
les trois Mages
remuant leurs gros sourcils
par nuit claire
Et tandis qu’ils serraient
les riches présents de leurs coffrets
(or, encens et myrrhe)
leurs chevaux abandonnaient sur l’herbe
du beau crottin doré comme l’avarice.
Melchior dit à Gaspard
Gaspard dit à Balthazar :
« Réjouissons-nous car notre foi est la même.
« Les mêmes sont nos amours
« sur la route de Bethléem... »
Puis devant cette âme commune et nouvelle
ils se saluèrent et volontiers
reconnurent qu’ils étaient un
Un seul Mage sur trois montures.
Georges SCHÉHADÉ, Récit de l'an zéro,
Mercure de France, 1956.
Recueilli dans Noël en poésie,
présenté par Claude Garda.
Gallimard, 1983.