Les avènements et les avisions
par
Paul SÉBILLOT
Une des croyances les plus répandues est celle des signes avant-coureurs de la mort. Ce signe s’appelle un avènement ou une avision. J’ai souvent entendu dire à des femmes de la campagne : « Je savais bien que mon parent mourrait ; j’avais ouï son avènement. »
Ce sont surtout les femmes, plus nerveuses, et par conséquent plus disposées à la crédulité que les hommes, qui ont connaissance de ces signes fatidiques.
Souvent l’avènement est annoncé par le bruit d’un paquet qui tombe sans cause appréciable, par des soupirs poussés par une bouche invisible dans une pièce où l’on est seul, ou par l’apparition, pendant le sommeil, de la personne qui doit mourir. Une femme m’a assuré qu’un jour à la messe une goutte de sang était tombée sur son paroissien ; peu après elle apprit la mort d’un de ses parents.
*
* *
À Dinan, on prétend que les sonnettes tintent toutes seules pour annoncer le décès d’un parent mort au loin.
Parfois l’avision est un avertissement donné aux parents d’un fait qui se passe à distance. C’est ce qu’en pays breton on appelle un intersigne. Si quelqu’un meurt loin des siens, ses parents entendent des coups frappés, le bruit de gens qui se promènent dans les greniers ; des mains les étreignent ou tirent leurs couvertures ; des chandelles se promènent dans les cours ; on voit des mains qui n’ont point de corps ou des gouttes de sang qui coulent glou à glou des greniers.
Voici quelques formes d’avènements.
Une femme de Dinan, dont le fils était marin, était, une nuit, bien éveillée, à ce qu’il lui semblait ; elle vit au pied de son lit son fils blessé et baigné dans son sang. Elle apprit ensuite que son enfant avait été assassiné la nuit même où son image lui était apparue.
Une autre vit son frère qui se débattait dans les flots. Elle sut, plus tard, qu’il avait été jeté à la mer.
*
* *
Avant la mort de la femme P. D..., d’Ercé, on vit pendant plusieurs nuits une chandelle qui se promenait sur la route.
Une femme vit un soir dans son aire un cierge qui s’alluma et s’éteignit par trois fois. Le lendemain, en soignant sa vache, elle entendit pleurer. Quelques jours après, elle apprit que sa marraine était morte.
*
* *
Un jour des enfants qui se promenaient virent un homme étendu qui semblait mort, et dont les yeux ouverts paraissaient regarder un enfant. Celui-ci dit : « C’est mon père », et il s’évanouit. Quand les autres regardèrent le buisson, tout avait disparu. On eut peu après la nouvelle de la mort d’un marin – le père de l’enfant – qui s’était noyé en tombant ce jour-là même du haut d’un mât.
*
* *
Un soir, un homme voit un ancien vicaire de sa paroisse qui se promenait en lisant attentivement son bréviaire. Il va au presbytère et annonce la visite prochaine du prêtre. On l’attendit en vain ; mais quelque temps après, on apprit que ce jour-là il était mort.
*
* *
Il y a des choses dans ce monde plus étonnantes qu’on ne croit.
Un jour un homme de la Ruée était à dire ses prières. Il vit un enterrement qui passait à quelque distance de lui ; un homme portait la croix, puis venaient la châsse, les prêtres, et des hommes et des femmes, et il y avait même parmi eux des gendarmes.
Huit jours après, un homme qui était né à la Ruée mourut, et son enterrement eut lieu comme celui que l’homme avait vu ; les gendarmes s’y trouvaient. C’étaient deux soldats de la brigade de Collinée.
*
* *
Un matin, de bonne heure, un fermier qui tirait de l’eau à son puits vit arriver dans l’aire un harnois (charrette attelée) qui ne faisait point de bruit, puis quatre hommes sortirent de la maison dont pourtant il avait fermé la porte, portant une châsse qu’ils chargèrent sur la voiture. Il fit part de ce qu’il avait vu à ses voisins, qui lui dirent que c’était l’avènement d’un homme qui était né dans sa maison et qui mourait au loin.
Paul SÉBILLOT,
Traditions et superstitions
de la Haute-Bretagne,
1881.