Les lavandières de nuit

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Paul SÉBILLOT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Certains douéz sont affectionnés par les lavandières de nuit. Parfois elles restent des années sans qu’on entende parler de leur battoir, puis tout d’un coup elles reparaissent. En Ille-et-Vilaine, on prétend que les lavandières de nuit sont des mères qui ont tué leurs enfants, ou bien des femmes qui ont lavé le dimanche.

Les personnes qui ont lavé le dimanche reviennent un jour – mais la plupart du temps invisibles – au douéz où elles lavent à l’heure où elles ont violé pendant leur vie le repos dominical.

 

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Aux Guerches, près Matignon, il y avait des lavandières qui faisaient tordre le linge ; il y avait aussi une dame blanche.

Il faut bien se garder d’accepter de tordre le linge, car si on se trompait en le tordant, on mourrait.

 

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Une lavandière de Dinan, morte aujourd’hui, et connue dans la ville sous le sobriquet de la mère Paillasse, était allée un soir voir une femme en couches qui demeurait dans une ferme, à quelque distance de la ville. Vers une heure du matin, elle quitta la malade et se mit en route pour s’en retourner chez elle. Pour s’abréger, elle passa par la prairie des Noes-Gourdais, où il y a un douéz. Auprès, elle aperçut une femme qui étendait du linge, et il y en avait un paquet considérable. Elle s’arrêta auprès de la lavandière et lui dit :

– V’êtes ben tard ané (aujourd’hui).

L’autre ne lui répondit rien, et elle ne voyait pas sa figure, à cause de la lune qui était derrière sa tête. Elle lui aida à ramasser le linge, et quand il fut mis en paquet, elle lui aida à le soulever sur son dos. La lavandière se tourna alors, et la mère Paillasse s’aperçut qu’elle avait une tête de mort. Elle s’en alla au plus vite, et toutes les fois qu’elle racontait cette aventure, elle était si émue que la sueur lui perlait sur le front.

 

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Un homme qui passait une nuit près des Noes-Gourdais vit une personne occupée à ramasser du linge, qui le pria de lui aider à le tordre. L’homme s’approcha et prit les draps par un bout ; mais la femme lui frappa un coup sur la figure avec l’autre bout du drap, et l’homme s’aperçut qu’il avait devant lui un fantôme.

 

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Au-dessous de l’Angevinais, il y a un endroit du canal qui s’appelle Ponha. Une nuit, une femme de Conaquen, croyant être au matin, descendit à la rivière pour laver. Elle cria à son mari : « Thomas, passe-moi des draps », et au même moment elle tomba dans la rivière, où elle se noya. Depuis ce temps, elle revient vers la Toussaint, entre dix et onze heures du soir. On l’entend frapper trois coups de battoir, puis on n’entend plus rien. Plusieurs personnes encore vivantes l’ont entendue, et lorsque les femmes se lèvent avant le jour pour aller laver ou restent trop tard le soir, on leur dit : « Vous allez faire comme la lavandière de Ponha. »

 

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Après dix heures du soir, sous les anciens ponts des environs de Bécherel et de Tinténiac, principalement à Piedlouais, près des Iffs, il y a des femmes qui lavent. Si on s’approche d’elles, on voit comme une lueur, et elles disent :

– Suivez votre route ; je fais ce qui m’est ordonné.

Dans le pays, on prétend que c’est surtout une femme catholique, tuée jadis par les huguenots, qui revient ainsi la nuit.

 

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On dit aussi que les enfants qui ont frappé leur mère étant petits ne peuvent avoir de repos que lorsque leur mère est venue les frapper ; jusque-là, le bras coupable sort de la tombe.

 

 

 

Paul SÉBILLOT,

Traditions et superstitions

de la Haute-Bretagne,

1881.

 

 

 

 

 

 

 

 

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