Le roi, le paysan et l’ermite

 

                                CONTE.

 

 

        Un Roi tourmenté d’insomnie

(On a dit que ce mal était le mal des rois),

        Vit à la chasse un Villageois

        Étendu dans une prairie,

        Qui reposait si doucement

        Et dormait si profondément,

Que du triste Monarque il excita l’envie.

    Au même endroit un Ermite passait,

Homme sage, et qu’alors partout on chérissait,

Faisant peu de sermons, ne prêchant que d’exemple,

De toutes les vertus son cœur était le temple.

    Le Roi l’arrête et lui dit : « Homme saint,

De grâce dites-moi pourquoi ce misérable,

Que le malheur poursuit, que la fortune accable,

Malgré les maux qu’il souffre et malgré ceux qu’il craint,

Bien loin de désirer le ciseau de la parque,

Dort si paisiblement, et bien mieux qu’un monarque ?

– Sire, répond l’Ermite, un pauvre villageois

Ne condamne personne et ne fait point de lois.

Son âme par l’orgueil n’est jamais entravée :

Des fautes qu’il commet, seul coupable et puni,

Ses chagrins sont l’impôt, la taille, la corvée ;

Il travaille pour vous, et vous veillez pour lui :

De plaisirs et de maux ce consolant partage,

D’un Dieu juste et clément est l’immortel ouvrage.

Vous avez tous les biens, ils ont tous les travaux ;

Vous avez les remords, ils ont le doux repos.

Rois qui nous gouvernez, portez mieux vos couronnes :

Que les honnêtes gens soient vos seuls favoris ;

        Et pour mieux dormir dans vos lits,

        Dormez un peu moins sur vos trônes. »

    Ainsi parla l’Ermite ; et le Roi furieux

        Le fit punir, et n’en dormit pas mieux.

 

 

M. le comte de SÉGUR.

 

Recueilli dans

Choix de poésies morales

et religieuses, 1837.

 

 

 

 

 

 

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