Légende et réalité
Un gentilhomme 1, dit la légende pieuse,
Vint en Palestine autrefois
Pour y frôler du Christ l’ombre mystérieuse
Et pour entendre encor sa voix.
Il suivit, en priant, partout l’ombre divine,
En Galilée, à Nazareth,
Où l’âme du croyant, sans cesse le devine,
Au Thabor, à Génésareth.
Il foula les sentiers gris de la Samarie,
Témoins du passage de Dieu,
Témoins de la douleur qui transperça Marie
Lorsque Jésus Enfant resta dans le Saint Lieu.
De la vieille Sion ayant franchi l’enceinte,
Le noble et fervent pèlerin
Parcourut, l’Évangile en main, la Ville Sainte,
L’âme en joie et le cœur serein.
Baisant la pierre lisse et que le temps ébrèche,
Il suivit le chemin sanglant ;
Au Calvaire, au Sépulcre, au rocher de la Crèche
Il appuya son front brûlant.
Enfin, ayant gravi la pente raide et grise
Du mont triste des Oliviers,
Il baisa, sur le roc où Jésus l’avait mise,
L’empreinte de l’un de ses pieds.
À genoux il pria longtemps..... et sa prière
Semblait une extase d’amour .....
Et quand on vint, l’on vit son corps froid sur la pierre,
L’on vit ses yeux fermés au jour.
Il avait dit au Christ : « Où pourrais-je vous suivre,
Jésus, mon Maître désormais ?
Attirez-moi là-haut, chez vous..... J’y viendrai vivre
De joie et d’amour à jamais ! »
Que de pèlerins morts comme ce gentilhomme
Au pays même de Jésus !
Plusieurs, sans doute, sont entrés dans le royaume
Que Dieu réserve à ses élus.
D’autres ont dû subir la flamme expiatoire.....
Et peut-être que ce matin,
Grâce aux prières des Croisés du Purgatoire,
Plusieurs ont vu le ciel enfin.
Ceux-là prieront pour vous, dont le pieux suffrage
De leurs chaînes les délia ;
Et quand viendra la fin du grand Pèlerinage,
Ils chanteront pour vous au ciel l’Alléluia.
P. SÉVÉRIEN.
Paru dans Échos de Notre-Dame de France en 1908.
1 Le guerrier scandinave Eskill, qui, après avoir été amiral de la flotte danoise,
vint en Palestine vers 1152. Cf. Jérusalem, 24 octobre 1907, p. 560-561.