La chapelle des naufragés

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Claude SOLHAC

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La maison était bâtie un peu en dehors du bourg, au milieu d’une lande verte qui devenait jaune lorsque fleurissaient les ajoncs. Au bas de la lande, c’était la mer. Petite maison, lasse et affaissée, avec un toit de chaume comme il s’en rencontre encore dans quelques villages de Bretagne. Devant le seuil, il y avait de gros pommiers bossus qui promenaient, de l’aube au soir, une ombre tiède.

Pas de fleurs, autour de la chaumière, sinon celles de la lande. On ne plante plus de fleurs quand il n’y a plus de joie.

Deux femmes étaient assises sur le banc vermoulu placé près de la porte, à l’ombre tiède des pommiers. La nuque inclinée, elles s’absorbaient en de patients ravaudages. Toutes deux étaient jeunes. Celle de vingt-cinq ans paraissait âgée, cependant, parce qu’elle était triste. Sa coiffe avait le ruban noir des veuves. L’autre, qui n’avait pas vingt ans, était grave.

Elles parlaient peu. L’aînée songeait à Sullian, le jeune époux, mort l’an dernier au large de Paimpol, alors qu’il se portait au secours d’une barque en détresse. Sa sœur, la jeune fille, se défendait de songer à Lân Kermeur, l’Islandais qui allait revenir.

Car la saison du bonheur s’était ouverte, avec l’approche de septembre. La Bretagne s’animait du retour des bateaux partis pour la grand’pêche. Jour après jour, ils rentraient au port, pavoisés, et la joie entrait avec eux dans les maisons de la côte.

Trois seulement manquaient à l’appel : le Pierre-et-Jeanne, La-Ville-d’Ys et le Keryado, sur lequel était embarqué Lân Kermeur. Ils étaient annoncés pour ce soir.

Oh ! la belle rumeur, là-bas, sur la falaise ! Les femmes qui travaillaient, solitaires, l’imaginaient, pour l’avoir autrefois connue. Le va-et-vient des mères, et des enfants nombreux... Les mains en auvent, le cœur en attente. Une voile, à l’horizon... Laquelle des trois goélettes ? Une voile... Une autre... Bientôt, les équipages seront là. Et les bras s’ouvrent par avance. Ô bien-aimé...

Fantic, la veuve, releva la tête.

– Si tu voulais aller jusqu’au port, Marie-Anne, voir l’arrivée des Islandais ?

La jeune fille tressaillit. Elle aussi releva le front. Et l’on aperçut un visage aux traits fins et fiers, des yeux bleu mauve, pareils à la fleur de lavande, sous de longs cils noirs. Les cils touffus battirent la joue que la mer avait dorée. La bouche grave eut un demi-sourire.

– À quoi bon ?

Déjà, l’aînée avait repris son aiguille.

– C’est vrai, fit-elle, la voix morne et passive. Nous n’attendons personne.

– Personne ! redit la voix plus jeune, en écho.

Elles se remirent à travailler en silence. Une paix monotone enveloppait leur labeur. La fin août commençait de faner la lande. Sa verdeur, par plaques, se marbrait de fauve. Et le violet des scabieuses, et le violet des campanules, devenait plus hardi, entre les herbes rêches.

Elles travaillaient. Leurs pensées ne variaient guère. La veuve évoquait celui qui ne reviendrait plus. Marie-Anne continuait de se défendre contre le souvenir de Lân. Et ce faisant, elle songeait à lui...

Depuis quand l’aimait-elle ? Depuis toujours, sans doute, car ils avaient grandi côte à côte. Mais sa jeunesse n’en avait pris conscience que l’an dernier, lors d’un mariage à Perros-Guirec où ils avaient assisté ensemble parmi les couples d’honneur. Là, dans le rayonnement du bonheur de l’épousée, Marie-Anne avait compris soudain que ce grand garçon, près duquel elle avançait, fière et confiante, c’était celui-là près duquel elle souhaitait cheminer durant toute la vie.

Il avait été si gentil, au cours de ces noces, qu’elle avait presque cru...

Il est vrai, Lân avait été très gentil, l’entourant de prévenances délicates comme le doit faire tout garçon d’honneur. Lui-même n’était pas sans subir le charme frais de sa compagne, un charme de rose qui s’ouvre. Mariannaïk ! La petite pêcheuse de crevettes qui courait hier encore les mollets nus, ses sabots clairs claquant sur les galets. Et aujourd’hui, une grave jeune fille au tablier fleuri, si belle, si candide, avec un rire d’enfant qui traversait la jeune gravité... Il l’avait admirée, émerveillé, un peu condescendant, comme un grand frère admire. Il avait songé :

« Elle est charmante, Marie-Anne. Si j’avais une petite sœur, je la voudrais pareille. »

Tout le jour, toute la veillée, il avait respiré ce parfum de rose entr’ouverte.

On s’était quitté à l’aurore. Kermeur regagnait sa maison de la côte, où l’attendait sa vieille tante Gaud. Il allait, dans le soleil levant, les yeux, le cœur pleins du charme frais de cette petite. La sente courait entre la rosée et les ajoncs. Elle passait devant la demeure de Marivonne Trévarez. Lân s’était arrêté. Il avait cueilli une touffe mouillée d’aube, et il avait fixé le bouquet d’or à la fenêtre de sa mie.

Car c’était ici qu’il aimait...

Marivonne... Une des plus jolies filles du bourg, et des plus regardées. Toujours la première aux assemblées, toujours la première au plaisir. Un air de fête qui ne finissait pas. Et si vive, en ses toilettes claires, qui la faisaient ressembler, parmi les velours graves des costumes anciens, à une libellule dansante.

D’aucuns s’étaient étonnés qu’elle choisît Lân Kermeur, un simple pêcheur, alors que nombre de partis plus brillants s’offraient à elle. À cela, on aurait pu répondre que Lân était un des plus fins marins de la côte, en passe de devenir capitaine. Un des plus beaux, aussi, personne n’eût osé le contester.

Le certain, c’est qu’en février, au départ des Islandais, on avait appris que Lân avait échangé l’anneau des promis avec Marivonne. Marie-Anne s’était interdit de songer désormais à celui qui était engagé à une autre. Mais il lui semblait avoir perdu sa jeunesse.

Près d’elle, Fantic, absorbée par un souvenir douloureux, ne s’apercevait pas que la petite sœur avait du chagrin...

Ce soir, ce beau soir de retour, si lourd et si léger, elle ne s’en apercevait pas plus que d’habitude. Hâtivement, elles tiraient l’aiguille, sans grandes confidences, l’une repliée sur le passé, l’autre sans passé et sans avenir, tâchant de se donner toute au présent dans une fièvre de labeur.

... Ce ne fut qu’à la nuit qu’elles apprirent la nouvelle. Les bateaux espérés étaient revenus, l’équipage au complet, sauf Lân, qu’une lame avait emporté dans la mer d’Islande, un jour de brume.

 

 

*   *   *

 

Les mois avaient coulé...

Qui songeait encore à Lân Kermeur ?

Il n’avait plus personne au monde, sa tante, la vieille Gaud qui l’avait élevé, étant morte peu après son départ.

Marivonne ne songeait plus à Lân. Lorsqu’elle avait appris la vérité, sur le quai même, lors du dernier retour, elle s’était évanouie de douleur. Puis elle avait eu des sanglots qui vous fendaient l’âme.

– Alain ! Lân ! Mon Lân !

Les groupes émus l’entouraient. Quelques femmes ne pouvaient retenir leurs larmes, et se lamentaient avec elle. Hervé le Cloarec, qui lui avait fait longtemps la cour avant qu’elle ne choisît Kermeur, s’était trouvé là par hasard. Il s’était penché.

– Ne pleurez pas ainsi, Marivonne !

Le moyen de ne pas pleurer, alors que celui que l’on a considéré six mois durant comme son promis a disparu en mer ! Marivonne pleura toutes les larmes de ses yeux, toutes les larmes de son cœur. Cela dura quinze jours.

Autour d’elle, on s’apitoyait. Et voici qu’elle trouvait comme une douceur à ce rôle de fiancée-veuve.

Cela dura quinze jours. Après quoi, les larmes tarirent. Elle n’en trouva plus du tout. Et lorsque Le Cloarec vint la revoir, lorsqu’il lui murmura : – « Ne pleurez plus... » elle lui répondit par un sourire.

Quelques semaines plus tard, ç’avaient été ses fiançailles avec Hervé, et bientôt ses noces. Elle serait tombée malade de tristesse. Il fallait la distraire de sa peine...

Qui songeait encore à Lân Kermeur ? Il n’y avait plus que Marie-Anne, la petite Mariannaïk. Maintenant, elle pouvait l’aimer, car il n’appartenait à personne. Il n’appartenait qu’à Dieu.

Elle l’aimait, fidèle. Et ce dimanche de printemps, où le bourg était tout bruissant de rires de jeunesse, elle s’en allait, recueillie, vers la chapelle des naufragés, où vont pèleriner les cœurs en deuil. Fantic, un peu lasse, était restée à la maison.

La chapelle s’élevait au fin bout de la lande, dont l’arête rocheuse avançait dans les vagues. C’était une chapelle très ancienne, aux murs de granit dorés de lichens. Quelques arbres s’échevelaient dans un préau, frôlant son clocher fruste. Ils paraissaient échevelés, bien qu’ils fussent immobiles, parce que leur feuillage s’était courbé violemment sous la rude main du vent d’ouest. Il n’y avait point de vent ce soir ; il n’y avait que des arbres penchés, du calme, et du soleil.

Marie-Anne gravissait la pente, entre les pierrailles. Elle montait, avec une grâce légère et noble, l’allure participant de la fierté de l’âme – cette fierté qui n’est point rare en Bretagne, même dans de très humbles demeures.

Comme elle était jolie, en ses habits de fête ! La coiffe, de dentelle claire, avait une légèreté d’aile sur l’or mousseux des boucles. De petites roses pâles brodaient le gilet de velours noir. Et sur sa robe de laine tombait le tablier des dimanches, en fin tissu d’un jaune paille tramé de feuilles d’argent.

Grâce et fraîcheur ! Et toujours, dans la fraîcheur de ces vingt ans, les yeux graves qui regardaient loin, vers l’Islande.

Elle montait... Au bord d’une haie, un parfum la retint comme un appel. Mars faisait le beau. Et, sous une couronne de feuilles sèches, les premières violettes arrêtaient le passant. Ces premières violettes que l’on respire, le cœur un peu gonflé...

Elle s’inclina, cueillit les fleurs, d’une main lente, et recommença de gravir.

Elle arriva au sommet de la crête, respira largement. La solitude était vaste comme le ciel, et comme la mer. Le ciel était pur. Dans le crépuscule de mars, la mer était d’un bleu cendré avec, à l’horizon, une mince ligne rose.

Autour de la chapelle, il y avait l’enclos des naufragés. Des croix noires, sur l’herbe neuve. Machinalement, Marie-Anne lisait les noms des jeunes hommes morts. Elle s’attarda devant la tombe de Sullian, dont le flot avait rejeté le cadavre. Puis, après avoir compati à la peine de Fantic, elle entra dans la chapelle, chercher sa propre peine.

Rien ne restait, à elle, de celui qu’elle avait aimé. Sous quels cieux bas et mornes, sous quelles lames glauques dormait-il son dernier sommeil ? Ici, un nom seulement, une phrase :

 

Kermeur Alain

péri en mer...

 

Un porche étroit précédait le sanctuaire. Les parois de ce porche étaient clouées de plaques noires, parmi lesquelles une se détachait, plus noire, parce qu’elle était plus fraîche. Celle du dernier disparu...

Marie-Anne ne fit que traverser le porche, qui la reverrait tout à l’heure. Avant tout, elle voulait saluer la Vierge. Elle pénétra dans le sanctuaire, avança jusqu’à l’autel. Une statue se dressait, vétuste et naïve, avec un doux voile bleu. Sur le socle, on lisait : Notre-Dame de la Mer.

Elle s’agenouilla, offrit une part de ses violettes. Et elle laissa monter sa plainte.

– Ô Vierge, vous êtes bonne... Vous qui aimez la vie, pourquoi l’avoir laissé mourir ?

Cela, c’était le cri involontaire de l’angoisse humaine. Mais déjà la foi robuste imposait la vérité, et l’apaisement.

– Vous êtes bonne, et vous êtes sage... Vous avez grand’pitié, je le devine, vous qui avez souffert avant nous. Oh ! sans doute, Notre-Dame, si vous écoutiez toutes les mères et toutes les épouses, qui viennent crier leur espoir avant de crier leur douleur, aucun enfant, aucun époux ne partirait... Mais ce n’est point ici-bas le paradis. C’est tout juste un pèlerinage. Il faut bien qu’à son tour chacun de nous s’en aille. Il faut bien rentrer au Pays. Vous savez le secret de l’heure. Vous êtes toute sage et toute bonne. J’ai foi.

La confiance montait, après la plainte. Une sérénité virginale semblait sourire. Les fleurs sentaient bon, éparpillées sur les dalles.

Marie-Anne se releva et revint au porche. Elle chercha la plaque neuve, sur laquelle un pinceau primitif avait tracé un crâne aux orbites creuses avec, en dessous, deux os en croix. Et quelques lettres blanches.

 

En mémoire de

Kermeur Alain

péri en mer au retour d’Islande

dans la tempête du 9 août...

 

De ses doigts joints, elle laissa couler lentement les violettes. Puis elle-même glissa à genoux, et, le front sur la plaque noire, elle resta sans larmes, presque sans prière, n’offrant que la souffrance de son cœur.

Des pas, dans le sentier... Elle se releva, le feu aux joues. Il ne fallait pas qu’on la vît devant cette plaque, qu’elle avouât son amour pour un mort. Qu’elle priât dans la chapelle, bien. Mais devant l’autel de la Vierge, qui appartient à tous. Non pas devant ce petit carré funèbre, où s’inscrivait un nom. Déjà, ces violettes...

Elle s’était composé un visage. Elle sortit. Sur le seuil, elle se heurta à Lân Kermeur...

Il était là, tout droit, tout fort, le torse bien pris dans son maillot de laine bleue.

– Lân... balbutia-t-elle, dans un cri étouffé.

Elle recula, livide, s’adossa au granit. Lui avait murmuré :

– Mariannaïk !

Mariannaïk, comme autrefois. Et il regardait sans comprendre l’émoi de l’enfant. Puis tout à coup, il comprit. Il eut un beau rire sonore, un beau rire heureux.

– N’aie pas peur, Marie-Anne. Ce n’est pas une âme qui revient. Je suis vivant. Tiens, rends-toi compte !

Et il lui tendait sa large paume ouverte. Elle n’eut pas la force de tendre sa petite main glacée. Des larmes coulaient sur ses joues. Elle murmura, dans une fierté qui ne voulait pas avouer la joie :

– J’ai eu si peur...

– C’est vrai, dit Lân d’un ton très doux. J’ai passé pour mort cet automne. Péri en mer. Et me voilà...

Elle se ressaisissait un peu, sentait le sang remonter à son visage.

– Par quel miracle ?

Il raconta, avec une sorte de véhémence laconique. Comme on rentrait d’Islande, certain jour de très gros temps, il était tombé à la mer, emporté par une lame. Ses camarades avaient fait ce qu’ils avaient pu pour lui porter secours. Mais, vraiment, la mer était démontée, et quel brouillard ! Lui avait nagé longtemps, longtemps, jusqu’à épuisement de ses forces. Au moment où il allait couler, un bateau norvégien l’avait aperçu, lui avait lancé une bouée. Seulement, tandis qu’on le hissait sur le pont, sa tête avait porté contre un bastingage. La fatigue, la blessure... Durant des mois, il ne s’était souvenu de rien, ni de son nom, ni de son pays. On avait abordé aux îles Féroé. Là-bas, on l’avait soigné aussi bien que possible. Puis un jour, des marins de Perros avaient fait escale aux îles. D’entendre le parler Breton, la mémoire lui était revenue tout d’un coup. Il était rentré avec le premier bateau en partance. Il était arrivé ce matin...

– Oui, on ne m’attendait plus...

Et une ardeur un peu sauvage passait dans ses yeux et dans sa voix, parce qu’il pensait à Marivonne, qu’il avait demandée dès son retour, et dont on lui avait appris les noces.

– Pourquoi n’as-tu pas écrit ?

– La lettre serait arrivée avec moi. Puis, je voulais faire à... à ma promise la surprise du retour. Une surprise à laquelle on l’aurait préparée peu à peu... La joie risquait de lui faire du mal, tu comprends ? Et je voulais tout de même voir cette joie...

La voix sombra, sifflante, et rauque d’amertume. Marie-Anne gardait les paupières baissées. Il eut un grand haussement d’épaule, tout raidi d’orgueil, comme pour se décharger d’un fardeau importun. Désormais, il ne parlerait plus de celle qui avait oublié si vite. Le silence était le meilleur mépris.

Il changea de sujet, revint à la chapelle.

– Mon nom est là, sûr...

Il entra, d’une longue et souple enjambée, chercha des yeux la plaque fraîche. Il l’eut tôt découverte, avança, lut les lettres blanches, avec un léger choc au cœur.

 

Kermeur Alain

péri en mer au retour d’Islande

dans la tempête du 9 août...

 

Cela lui faisait une impression bizarre, ce nom écrit là, ce nom qui était le sien, ce nom d’un mort, et qu’il lisait vivant.

Puis il aperçut sur les dalles la petite pluie violette...

Il se retourna, 1’œil interrogateur. Il ne demanda rien, sinon du regard. Elle ne pouvait répondre. Mais les fleurs répondaient pour elle, éparses et odorantes, gonflées de printemps. Et comment nier ? Elle avait encore des violettes dans les mains. Quelques-unes étaient tombées dans la poche du tablier de fête ; leur sombre velours débordait un peu sur la soie jaune paille entremêlée d’argent.

– C’est toi, dit-il, touché, qui venais fleurir Lân Kermeur...

Il parlait de lui comme s’il se fût agi d’un autre. Elle n’avait point de paroles. Rien que cet air de bonheur trop grand, et de confusion trop grande.

Un instant, Lân demeura indécis, secoué d’émotions diverses. L’abandon de Marivonne, sa promise. Et cette petite, qui venait fleurir un souvenir...

Il l’enveloppait de son regard dominateur. Et voici qu’elle lui semblait belle comme la Bretagne, cette petite, avec sa coiffe blanche, ses yeux couleur de lavande, et son sourire qui tremblait. Pure et forte, fidèle...

Le visage de Lân eut une brusque détente. Il marcha vers l’enfant, lui prit la main, d’un geste impérieux, comme l’eût fait un maître.

– Viens, dit-il. Viens remercier avec moi.

Il l’entraîna dans la chapelle. Tous deux s’agenouillèrent, au bord des violettes de la Vierge.

Que dirent-ils chacun, dans le silence de leur cœur ?

– Marie-Anne, fit soudain le grand Lân, devant la Vierge qui nous entend, veux-tu devenir ma femme ? Veux-tu m’aimer vivant, comme tu m’aimais, mort ?

Et à ces mots, songeant au don merveilleux de la vie qui lui était rendu, à la place qu’il reprenait sur la terre, à l’amour vrai qu’il trouvait pour l’accueillir au retour, il ne put retenir deux grosses larmes.

Elle n’eut qu’un soupir.

- Oh ! Lân...

Ils ne dirent plus rien. L’un et l’autre avaient les mains jointes.

Marie-Anne ne priait point, du moins des lèvres. Simplement, elle offrait son bonheur, comme tantôt sa souffrance. Et quel merci valait son regard levé vers Notre-Dame – vers Notre-Dame qui fait luire de temps à autre, sur la terre de pèlerinage, de beaux rayons de paradis.

 

 

 

 

Claude SOLHAC,

Contes de tous les pays, 1957.