Attila
FRAGMENT
par
Alexandre SOUMET
Le nom d’Attila vient de se faire entendre parmi les ruines fumantes de la ville d’Aquilée. Suivi des biseaux de proie qui volent sur les traces de son épée, il s’avance pour donner la mort ; à la vue des édifices qui s’écroulent et s’ensevelissent sous les flots d’une cendre brûlante, son cœur se remplit d’une tristesse féroce. Il accuse l’incendie de lui avoir dérobé ses victimes ; il se plaint que les heures de la destruction s’écoulent trop rapidement, et il regrette de n’être pas lui-même ces flammes qui ont un reste de proie à dévorer.
Cependant, l’incendie apaise à son tour ses fureurs ; les débris d’un vieux temple dominaient seuls au milieu de tous les autres débris ; Attila vint s’y asseoir ; et, couvert de ses armes étincelantes, il apparaît comme un sinistre météore à travers les restes de fumée qui s’élèvent autour de lui.
« Ce trône de ruines convient à la royauté d’Attila, s’écrie-t-il ; on m’appelle le messager des vengeances, et mon épée est tombée du ciel. Pourquoi la terreur de mon nom disperse-t-elle devant moi les peuples de la terre ? Dieu m’a envoyé vers les nations qu’il voulait punir ; mais il ne savait pas que mon glaive était plus insatiable que sa colère, et les victimes ont manqué sur mon passage. Je suis fatigué de n’être qu’un instrument de la fureur, céleste ; c’est à ma propre fureur que je veux désormais obéir. Pourquoi mes drapeaux n’ont-ils pas encore flotté sur les remparts de la ville éternelle ? Le dieu des chrétiens s’y est enrichi de la dépouille de Jupiter ; Rome fut de tout temps la demeure des immortels ; et si un seul de ses temples reste debout après que je l’aurai visité, Odin, sur les traces d’Attila, viendra y demander un hécatombe. »
Il dit, et, pareil au retentissement des boucliers d’airain lorsqu’ils s’entrechoquent dans la mêlée, sa voix entraîne après lui la fureur de ses sauvages guerriers. Ils roulent comme les feuilles séchées des bois vers la cité de l’Éternel ; le sol romain tressaille sous leurs pas. Les ombres des Camille, des Scipion et des Manlius s’élancent au Capitole pour en précipiter une seconde fois les barbares. Mais, à l’aspect des innombrables légions qui se pressent vers les portes sacrées, à l’aspect de cette Rome si tranquille, quoique sans défense, elles s’aperçoivent que le bras des mortels n’a rien à faire contre de pareils dangers, et elles se recouchent paisiblement dans leurs tombeaux.
Cependant une des portes de la ville s’ouvre d’elle-même. S’imaginant que c’est le signal du combat, les barbares poussent un cri terrible ; les feux du soleil, réfléchis par les haches, les lances et les glaives de cinq cent mille combattants, ressemblent sur la plaine à un vaste embrasement, précurseur de l’incendie qui doit consumer Rome. Tu t’enorgueillis en toi-même, ô Attila ! tu demandes à tes guerriers si le dieu d’Israël viendra défendre lui-même l’empire de son fils. Vois-tu ce vieillard vêtu de blanc qui marche vers toi, appuyé sur un roseau ? C’est le guerrier que l’Éternel a choisi pour s’opposer à ton passage. Déjà tes légions s’épouvantent ; décharnées par le ciel, elles reculent à l’aspect de son ministre. Ainsi les peuples de Dodone croyaient voir reculer les foudres de Jupiter devant les chênes prophétiques consacrés à ce dieu dans la profondeur de leurs forêts.
Le saint homme 1 s’approche d’Attila : « Je te reconnais, lui dit-il, toi dont je n’ai jamais vu le visage ; la houlette d’une simple bergère t’écarta jadis des rivages de Lutèce ; les remparts de Jésus-Christ seront aujourd’hui défendus par le roseau d’un vieillard. Ta mission est finie sur cette terre. La colère du Très-Haut n’habite plus en toi ; tu chercheras ton ancienne fureur au fond de ton âme, et tu ne l’y trouveras plus. » Ainsi parte le vieillard, et l’ange du Seigneur se dévoile au-dessus de ses cheveux blancs ; les guerriers de l’invincible jettent leurs armes ; Attila s’enfuit en se voilant de son bouclier et les peuples se demandent ce qu’est devenue cette armée que la terre pouvait à peine contenir.
Alexandre SOUMET.
Paru dans les Annales romantiques en 1825.
1. Le pape Léon.