Sainte Attala
par
Auguste STOEBER
Au temps du roi Hildericus naquit dans le pays d’Alsace une fille nommée Attala ; son père était le duc Adelbrecht et sa mère Gerlindis ; ils étaient des plus nobles familles des pays Welches. Adelricus, père de sainte Odile, était le grand-père de sainte Attala. Son père et sa mère étant des justes, ils enseignèrent à leur fille Attala et à ses deux sœurs, Eugenia et Gundelinda, à se plaire en écoutant la parole de Dieu, à faire de bonnes œuvres et à détourner leurs regards de toutes les choses mauvaises. Sainte Attala et ses sœurs, qui avaient entendu dire comment leur cousine sainte Odile vivait en se donnant à Dieu et dirigeait le couvent de Hohenburg, quittèrent amies et biens terrestres et allèrent trouver sainte Odile ; elles voulurent prendre exemple sur elle, se donner à Dieu et vivre dans la pauvreté et l’humilité. Sainte Attala et sainte Odile vécurent saintement et dévouées aux autres. Dans le même temps, Dieu inspira au père de sainte Attala le désir d’imiter son père, fondateur du couvent de Hohenburg, bâti en l’honneur de Dieu et de sa sainte Mère ; il se mit donc à bâtir aussi un couvent dans la ville de Strasbourg, près de la Brüche 1 ; il voulut que trente femmes et quatre chanoines vécussent dans ce couvent au service de Dieu ; il le dédia à saint Étienne, lui donna de grands biens et lui confirma une autorité royale. Et sainte Attala fut ensuite dans ce couvent de saint Étienne et fut, contre son gré, élue abbesse par toutes les femmes du couvent. Elle s’appliqua à être soumise à toutes les sœurs et pratiqua strictement le jeûne et la prière. Elle dédaignait toutes les joies de ce monde. Elle exhortait ses sœurs à faire comme elle et à servir Dieu par le chant et la lecture. Alors mourut sa mère, et elle fit enterrer son corps à Saint-Étienne, avec les honneurs dont elle était digne. Longtemps après, son père épousa une jeune fille nommée Bathilda et ils vécurent si heureux ensemble que tout le monde les aimait et les respectait. Quelque temps après, un des plus chers serviteurs du duc, ayant écouté les conseils des méchants, frappa violemment le duc Adelbrecht à la tête, qui fut très meurtri ; sa blessure s’aggravant de jours en jours, il comprit qu’il allait mourir. Alors, avec le consentement de son épouse, il donna tout son bien au couvent de Saint-Étienne et mourut bientôt après ; il fut dignement enterré dans ce couvent. Alors mourut sa femme aussi, et elle fut enterrée près de Gerlindis, mère de sainte Attala. Enfin, sainte Odile fut reçue par le Christ pour le repos éternel. Sainte Attala et ses sœurs veillèrent sur les tombeaux. Quoiqu’elle fût abbesse, elle vivait humble dans son couvent, et, quoique tous les biens du couvent vinssent de son père, elle n’était point fière et voulait toujours être la plus petite entre toutes.
Par son enseignement et son exemple elle assurait le bien temporel et spirituel des religieuses. Elle assembla toutes ses femmes et les consulta sur la règle qu’elles voulaient suivre. Elle leur demanda si elles voulaient être nonnes recluses ou non recluses. Toutes répondirent que c’était à elle de décider. Elle dit : « Je reconnais devant Dieu que vous avez toutes bien vécu selon la règle stricte des recluses. Mais je crains et je sais que celles qui viendront après nous ne supporteront pas cette sévérité ; et ce qui devrait être notre salut serait leur perdition. Mon avis est donc que nous restions dans un couvent ouvert. » Et toutes les femmes furent contentes. Elle grandit dans toutes les vertus, se donnant aux œuvres de Dieu. Notre-Seigneur voulut donc la délivrer de ses peines. Quand elle sentit que le temps de sa mort approchait, car elle souffrait de grandes douleurs, alors elle reçut les sacrements, se recommanda aux prières de ses sœurs et entra dans la joie éternelle. Que de larmes versèrent à sa mort ses sœurs et les prêtres ! Ils conservèrent le corps dans l’église de Saint-Étienne pendant cinq semaines entières et en présence de ce corps sacré s’exercèrent aux bonnes œuvres, au chant et à la lecture. Dans le même temps le corps de la sainte fut l’objet d’entreprises criminelles. En effet, il y avait à Hohenburg une abbesse du nom de Werendrut 2 ; elle avait une grande amitié pour sainte Attala de son vivant ; elle savait donc bien qu’elle était sainte ; quand elle apprit sa mort elle pensa : « Je serais heureuse si je pouvais avoir quelque chose des reliques de sainte Attala. » Elle envoya donc à l’église de Saint-Étienne un messager hardi, du nom de Wernher. Celui-ci alla une nuit vers la civière où gisait sainte Attala et la découvrit. La sainte lui tendit sa main droite 3 ; il la saisit et la maintint jusqu’à ce qu’il la lui eût coupée. Il cacha cette main, sortit précipitamment de l’église et rentra en courant vers Hohenburg. Quand il eut couru jusqu’à l’heure où on sonnait matines, il se retrouva dans l’église de Saint-Étienne, croyant être à Hohenburg, et il montra la main devant tous, en disant : « Voyez ! voyez ! nous avons maintenant ce que nous avons désiré ! » Les femmes de Saint-Étienne, voyant cela, furent fort étonnées, arrêtèrent le voleur, lui reprirent la main, qu’elles replacèrent près du corps ; elles demandèrent à l’homme ce qui s’était passé. Alors il raconta comment sa dame l’abbesse de Hohenburg l’avait envoyé et ce qui s’était passé dans la nuit. On relâcha le voleur, car on ne doit point punir celui qui vole des reliques par amour 4. Quand les cinq semaines furent écoulées, elle fut pieusement enterrée dans le couvent dont elle avait été vingt ans l’abbesse ; elle avait cinquante-quatre ans d’âge. Dans cette même église de Saint-Étienne, Notre-Seigneur fit de grands miracles sur sa tombe en faveur de malades, qui invoquaient sa grâce au nom de sainte Attala. Sur cette tombe, un homme, qui avait été quinze ans aveugle, retrouva la vue. Un enfant s’était noyé ; on plaça son corps sur le tombeau et il revint à la vie. Un paralytique, rampant et s’appuyant sur des béquilles, gagna son tombeau, put marcher droit et jeta ses béquilles. Ainsi elle sauva beaucoup de gens. Les miracles de sainte Attala se montrèrent si grands que tout le monde courut à son tombeau ; alors les offrandes enrichirent l’église de Saint-Étienne au point qu’elle surpassa toutes les autres églises par sa richesse et ses miracles. En ce temps-là, il y avait un évêque à Strasbourg, du nom de Widerolf, qui fut fort chagriné de voir l’église de Saint-Étienne croître ainsi en honneurs et en richesses, ce qui nuisait beaucoup aux fondations de sa cathédrale. Il songea à humilier sainte Attala pour élever à nouveau sa cathédrale. Il prit donc avec lui douze hommes avisés qui durent lui jurer d’enlever de là-bas le corps de sainte Attala et de l’ensevelir ailleurs. Un diacre, du nom de Trutman, s’en aperçut. Il alla la nuit changer le lieu de sépulture et cacher le corps derrière un autel. Alors, les gens de l’évêque ne trouvèrent nulle part le corps de sainte Attala ; ils dirent qu’on avait enterré les reliques ; et l’évêque ayant pris au couvent ses biens le ferma et chassa les nonnes. Mais le bras de Dieu se vengea de lui ; la chair de son corps devint puante et les vers s’y mirent ; et, chose plus extraordinaire, les souris et les rats le mordirent sans que personne pût l’en défendre. Alors il s’enfuit sur l’eau dans un bateau. Les souris nagèrent jusqu’à lui et rongèrent sa chair vivante. Il reconnut ses péchés et confessa qu’il s’était rendu coupable envers sainte Attala et que c’était pour cela qu’il devait mourir par les souris. Cependant sainte Attala, morte, faisait beaucoup de miracles. Une femme, le jour de sa fête, se piqua avec un fuseau, se transperçant la main ; un taillandier s’était coupé un doigt ; tous deux furent guéris après avoir invoqué sainte Attala. Une fois, elle chassa le démon du corps d’une femme. Elle guérit les gens de beaucoup de maladies. Une abbesse, nommée Reht, et un évêque de Strasbourg, nommé Rudolff, en furent informés et sainte Attala fut transférée en un lieu plus digne d’elle, où sa sainteté se manifeste encore souvent par la grâce du Dieu tout-puissant.
On fête sainte Attala le 3 décembre.
Auguste STOEBER, Die Sagen des Elsasses nach Volksüberlieferung,
gedruckten und handschriftlichen Quellen gesammelt und erläutert,
mit einer Sagenkarte, Saint Gallen, 1852.
Recueilli dans Contes populaires et légendes d’Alsace,
Presses de la Renaissance, 1974.
1 Strasbourg est sur l’Ill, en avant du confluent de la Brüche ; ces deux noms sont d’origine celtique et signifient « eau courante ».
2 Werentrund ou Warentrud, troisième abbesse du couvent de Sainte Odile, morte en 741.
3 Une autre légende raconte que saint Théobald, patron de Thann, sacrifie son doigt. On trouve un peu partout des exemples similaires de saints offrant eux-mêmes une partie de leur corps.