La légende de saint Materne 

qui a évangélisé l’Alsace

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Auguste STOEBER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au temps de 60 ans après la naissance de Jésus alors que saint Pierre, le premier parmi les douze apôtres, occupait le trône pontifical : Rome, saint Paul le rejoignit et tous deux prêchèrent la foi chrétienne à Rome et aux environs. Les autres douze (?) apôtres prêchèrent aussi la foi en d’autres pays où le Saint-Esprit les envoya.

Pierre, voyant en esprit que le temps de son martyre approchait, réunit à Rome ses disciples, désireux de répandre l’Évangile, et leur tint ce discours : « Mes chers frères, Notre-Seigneur Jésus-Christ m’a envoyé avec ses autres disciples dans le monde, comme des brebis parmi des loups, pour travailler à faire lever et fructifier le grain qu’il a semé et confié à la terre. Et moi aussi je veux envoyer à travers le monde tous ceux d’entre vous qui le désireront. »

Et il leur donna le pouvoir de lier et de délier les péchés et de faire des miracles, et il les envoya vers les pays divers. Il envoya saint Apollinaire à Ravenne, saint Martial en Aquitaine et saint Clément à Metz, et les autres dans d’autres pays. Ainsi, saint Pierre envoya vers le Rhin saint Materne avec ses deux compagnons, Eucharius et Valerius, qui étaient prêtres.

Saint Materne et ses deux compagnons partirent de Rome. Arrivés en Haute-Alsace, ils se mirent à prêcher la foi chrétienne au peuple. Ce peuple était païen. Voyant les prodiges et les miracles que faisaient saint Materne et ses compagnons – car ils ressuscitaient les morts, pansaient beaucoup de malades et délivraient les possédés –, les gens se faisaient baptiser et embrassaient le christianisme.

Alors saint Materne emmena les convertis au temple païen d’Ebersheimmünster, brisa les images des idoles et fit du temple une église pour les chrétiens ; parmi les hommes convertis, il en consacra quelques-uns comme prêtres, qui doivent servir cette Église et enseigner le peuple dans la foi ; ils le firent en effet.

Alors saint Materne alla à Strasbourg, y prêcha la foi et la parole de Dieu ; mais les gens ne l’écoutèrent point et le raillèrent, car dans les villes le peuple ne se laisse pas aussi bien instruire que dans les villages où il est plus simple. Saint Materne réprimanda les bourgeois pour leur dureté et leur manque de foi, et voulut, comme à Ebersheimmünster, changer les temples en églises à Strasbourg. Les bourgeois se mirent en colère, le chassèrent avec ses compagnons, les accablant d’opprobre et les frappant.

Ils supportèrent tout avec patience et retournèrent à leur église nouvellement construite d’Ebersheimmünster, et vers le peuple qu’ils avaient converti. En route, près de Benewelt (Benfeld), saint Materne tomba gravement malade et mourut. Ses compagnons, Eucharius et Valerius, furent très affligés ; ils prirent le corps et le portèrent au-delà de l’Ill, dans un lieu inhabité, et l’inhumèrent en faisant entendre des plaintes douloureuses ; de là le nom donné à ce lieu de « Eley », c’est-à-dire « grands cris ».

Quand ils eurent enseveli leur maître, ils eurent peur de la fureur des païens de Strasbourg : ils prirent la fuite et retournèrent à Rome vers saint Pierre, pour lui raconter tout ce qui s’était passé et lui dire la fin déplorable de leur maître.

Saint Pierre les accueillit avec bienveillance et leur dit : « Ne savez-vous plus ce que je vous ai souvent prédit ? Quand vous m’avez quitté, je vous ai dit qu’il faudrait beaucoup souffrir pour le nom du Christ, afin de gagner le royaume des Cieux ? Sachez que votre frère Maternus est endormi. Prenez mon bâton et hâtez-vous vers le lieu où vous l’avez enseveli, mettez mon bâton entre ses mains et dites-lui : « Frère Materne, saint Pierre, l’un des Douze, t’ordonne au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit de te relever et de remplir ta mission de prédication. »

Les deux hommes prirent le bâton et la bénédiction de saint Pierre ; ils partirent contents, et en quinze jours parvinrent de Rome en Alsace. Ils assemblèrent le peuple des croyants et leur répétèrent les paroles de saint Pierre. Alors ils allèrent au tombeau de saint Materne, suivis d’une grande foule de chrétiens que saint Materne avait enseignés. Il vint aussi quelques païens de Strasbourg, pour voir ce qui se passerait. Arrivés au tombeau, Eucharius et Valerius creusèrent la terre ; ils y trouvèrent le corps de saint Materne bien conservé et « sentant bon ». Ils mirent entre ses mains le bâton de saint Pierre et dirent les paroles qui leur avaient été commandées. Alors saint Materne ouvrit les yeux, se releva et sortit du tombeau en s’appuyant sur le bâton. Le peuple poussa des cris de joie et loua Dieu pour ce miracle. Saint Materne imposa silence au peuple et dit : « Comme vous le savez, j’avais quitté ce monde et j’étais entré au repos éternel. Grâce aux prières de saint Pierre, me voici revenu à la vie, et je dois passer parmi vous autant d’années que j’ai passé de jours dans ce tombeau. » Or, il avait bien passé trente jours dans son tombeau. Son discours provoqua une grande joie dans le peuple, et les païens présents se firent tous baptiser.

La nouvelle se répandit à Strasbourg, et dans d’autres villes et villages, et beaucoup de gens aspirèrent à la foi. Saint Materne alla donc à Strasbourg, fit de grands miracles et convertit les bourgeois à la foi chrétienne. Ils l’aidèrent à élever hors ville une église en l’honneur de saint Pierre, celui-ci étant encore vivant. Et ce fut la première église élevée à Strasbourg 1.

C’est ainsi que Strasbourg fut converti au christianisme par saint Materne et ses compagnons, alors que l’on comptait après la naissance de Dieu soixante-quatre ans.

Ensuite à la demande du peuple des villages, saint Materne bâtit une église à Molsheim 2, aussi en l’honneur de saint Pierre, et la nomma en langage welche Dompeter (Domus Petri).

Ensuite saint Materne ordonna des prêtres pour le peuple de Strasbourg afin qu’ils enseignassent le peuple et le confirmassent dans sa foi chrétienne, et il arrangea tout pour le mieux. Puis il alla à Trèves, où il convertit les hommes, ainsi qu’à Cologne et à Tungern ; jusqu’à sa mort, pendant trente ans, il fut évêque de ces trois villes. Pour être bref, je ne dirai pas les miracles qu’il fit là et comment il convertit ces peuples.

 

 

 

Auguste STOEBER, Die Sagen des Elsasses nach Volksüberlieferung,

gedruckten und handschriftlichen Quellen gesammelt und erläutert,

mit einer Sagenkarte, Saint Gallen, 1852.

 

Recueilli dans Contes populaires et légendes d’Alsace,

Presses de la Renaissance, 1974.

 

 

 

 



1  C’est Saint-Pierre-le-Vieux.

2  À la place de cette église, entre Molsheim et Avolsheim, il y a encore une très vieille église.

 

 

 

 

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