Sainte Richarde qui a ressuscité un petit ours

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Auguste STOEBER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Madame Richarde était l’épouse de l’empereur Charles le Gros.

Elle était la plus belle femme de l’Empire, et la plus vertueuse. Or, les jaloux l’accusèrent perfidement de rapports criminels avec l’évêque Luitward, conseiller secret de l’empereur.

Luitward fut banni.

L’empereur cita sa femme devant une assemblée d’évêques et de notables, à Kirchheim, où s’élevait un de ses trois châteaux d’Alsace.

Pour se justifier, l’impératrice dut subir l’épreuve du feu. Elle revêtit une longue chemise de soie blanche, enduite de cire, matière très inflammable, et dut marcher sur un brasier. Elle ne ressentit aucune brûlure. Son corps et le vêtement enduit de cire étaient parfaitement intacts au sortir de l’épreuve.

Les ennemis de l’impératrice furent confondus dans leur félonie. Alors, se présenta un jeune chevalier qui s’appelait le sire d’Andelo. C’est lui l’aïeul des seigneurs d’Andlau.

Il dit à l’empereur et aux félons :

« Je lance le harpon sur quiconque parle en mal du prochain. On a tenu sur la femme de l’empereur des propos malveillants. Que ceux qui ont parlé d’elle avec malignité viennent m’en rendre compte, car elle est de ma famille ! »

Les uns ont dit que les félons durent s’aligner et furent meurtris par le sire d’Andelo. D’autres ont dit qu’ils s’enfuirent, redoutant le pire des châtiments.

L’empereur, un incapable, une âme triste et faible, toujours aux écoutes de ce qui se murmurait dans son entourage, dut laisser partir sa femme, qui lui dit : « Mon maître, l’heure est venue où je dois vous quitter pour le service de Dieu. »

Et le jeune sire, avec ses gens, fit escorte à madame Richarde, qui partit à la recherche d’un site pour y bâtir une abbaye.

Un soir, elle entendit un pèlerin qui lui criait : « Sainte femme, là où tu verras une ourse noire creuser la terre, tu devras bâtir la maison de Dieu. »

Le pèlerin disparut.

Comme le cortège allait s’enfoncer dans une vallée, voilà qu’une ourse noire grattait la terre.

L’impératrice descendit de cheval. « Que fais-tu, pauvre amie ? Tu m’’indiques le terme de ma route ?... » Or, le cortège se trouvait alors sur les terres mêmes du sire d’Andelo.

Cependant, le chevalier et ses gens conseillaient à madame Richarde de ne pas s’approcher de la bête.

« C’est ici la vallée des ours, crièrent-ils. Ils ont la dent dure, et cette bête pourrait vous déchirer ! »

Mais l’ourse se laissait caresser bonnement la tête, et avec son museau, elle montrait le corps raidi de son ourson mort. Et des larmes coulaient de ses yeux.

Madame Richarde a pris l’ourson dans ses bras, et l’a chauffé contre son sein. « Ton ourson, dit-elle, va se réveiller de la mort. Point n’était besoin de creuser la terre pour lui. »

Quand elle entendit cela, l’ourse se mit à faire la belle et à sourire en montrant ses gencives rouges et ses dents blanches, et puis aussi à lécher un peu l’impératrice, qui ne lui en demandait pas tant, mais l’intention était bonne.

L’impératrice commanda que l’on fit venir les maçons, et bientôt s’éleva un couvent magnifique.

L’ourse éleva son ourson dans le respect de cette sainte femme et tous deux, la mère et le fils, restèrent fidèles à madame Richarde ; et il a été dit que le jour de la consécration du couvent, les ours de la vallée d’Andlau vinrent très respectueusement rôder autour du nouvel édifice. Puis s’en allèrent, placidement.

Madame Richarde, un jour, entreprit un grand voyage et au cours de ce voyage, elle reçut en présent le corps de saint Lazare, des mains de l’empereur Léon VI le Sage, qui l’avait conservé à Constantinople. Les reliques furent placées dans un splendide sarcophage. Les dames nobles de l’abbaye d’Andlau disaient chaque jour les Heures de saint Lazare.

Cependant, quand l’’impératrice fut morte, après une vie consacrée à faire le bien au-delà des possibilités humaines, on l’enterra près de l’église, car elle avait voulu être couchée comme les pauvres, à même la terre, et non dans un riche tombeau.

L’ourse gratta la terre ; mit le corps à jour ; tenta de le réchauffer comme l’impératrice avait fait pour l’ourson ; gémit durant plusieurs heures, – et personne n’osait approcher – enfin, mourut à son tour.

Voilà l’histoire de sainte Richarde.

En souvenir d’elle, quand un montreur d’ours passait par Andlau, il recevait de la ville un pain et trois goulden.

Et dans la chapelle souterraine de l’église, on nourrissait des ours vivants.

Une fois, on voulut faire déménager ces ours : mais ils eurent vent de la chose et ils firent un tel tapage que les fidèles ne pouvaient plus prier. Alors, on décida qu’ils resteraient dans la chapelle.

 

 

 

Auguste STOEBER, Die Sagen des Elsasses nach Volksüberlieferung,

gedruckten und handschriftlichen Quellen gesammelt und erläutert,

mit einer Sagenkarte, Saint Gallen, 1852.

 

Recueilli dans Contes populaires et légendes d’Alsace,

Presses de la Renaissance, 1974.

 

 

 

 

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