Les larmes de saint Pierre
Fragments
« Si vos yeux pénétrant jusqu’aux choses futures
Vous pouvaient enseigner leurs belles aventures,
Vous auriez tant de bien en si peu de malheurs,
Que vous ne voudriez pour l’empire du monde
N’avoir eu dans le sein la racine féconde
D’où naquit entre nous ce miracle de fleurs.
« Mais moi, puisque les lois me défendent l’outrage
Qu’entre tant de langueurs me commande la rage,
Et qu’ils ne faut soi-même éteindre son flambeau ;
Que m’est-il demeuré pour conseil et pour armes,
Que d’écouler ma vie en un fleuve de larmes,
Et la chassant de moi l’envoyer au tombeau ?
« Je sais bien que ma langue ayant commis l’offense,
Mon cœur incontinent en a fait pénitence.
Mais quoi ? si peu de cas ne me rend satisfait.
Mon regret est si grand, et ma faute si grande,
Qu’une mer éternelle à mes yeux je demande
Pour pleurer à jamais le péché que j’ai fait. »
Pendant que le chétif en ce point se lamente,
S’arrache les cheveux, se bat et se tourmente,
En tant d’extrémités cruellement réduit,
Il chemine toujours, mais rêvant à sa peine,
Sans donner à ses pas une règle certaine,
Il erre vagabond où le pied le conduit.
À la fin égaré (car la nuit qui le trouble
Par les eaux de ses pleurs son ombrage redouble),
Soit un cas d’aventure, ou que Dieu l’ait permis,
Il arrive au jardin, où la bouche du traître,
Profanant d’un baiser la bouche de son maître,
Pour en priver les bons aux méchants l’a remis.
… C’est alors que ces cris en tonnerres éclatent,
Ses soupirs se font vents qui les chênes combattent,
Et ses pleurs, qui tantôt descendaient mollement,
Ressemblent un torrent qui des hautes montagnes
Ravageant et noyant les voisines campagnes,
Veut que tout l’univers ne soit qu’un élément.
Il y fiche ses yeux, il les baigne, il les baise,
Il se couche dessus, et serait à son aise,
S’il pouvait avec eux à jamais s’attacher.
Il demeure muet du respect qu’il leur porte ;
Mais enfin la douleur se rendant la plus forte,
Lui fait encore un coup une plainte arracher.
« Pas adorés de moi, quand par accoutumance
Je n’aurais comme j’ai de vous la connaissance,
Tant de perfections vous découvrent assez ;
Vous avez une odeur des parfums d’Assyrie,
Les autres ne l’ont pas, et la terre flétrie
Est belle seulement où vous êtes passés.
« Beaux pas de ces seuls pieds que les astres connaissent,
Comme ores à mes yeux vos marques apparaissent !
Telle autrefois de vous la merveille me prit,
Quand déjà demi-clos sous la vague profonde,
Nous ayant appelés, vous affermîtes l’onde,
Et m’assurant les pieds m’étonnâtes l’esprit.
« Mais, ô de tant de biens indigne récompense !
Ô dessus les sablons inutile semence !
Une peur, ô Seigneur ! m’a séparé de toi ;
Et d’une âme semblable à la mienne parjure,
Tous ceux qui furent tiens, s’ils ne t’ont fait injure,
Ont laissé ta présence, et t’ont manqué de foi.
« De douze, deux fois cinq étonnés de courage,
Par une lâche fuite évitèrent l’orage,
Et tournèrent le dos quand tu fus assailli ;
L’autre qui fut gagné d’une sale avarice,
Fit un prix de ta vie à l’injuste supplice,
Et l’autre en te niant plus que tous a failli. »
… En ces propos mourants ses complaintes se meurent,
Mais vivantes sans fin ses angoisses demeurent,
Pour le faire en langueur à jamais consumer.
Tandis la nuit s’en va, ses lumières s’éteignent,
Et déjà devant lui les campagnes se peignent
Du safran que le jour apporte de la mer.
L’Aurore d’une main, en sortant de ses portes,
Tient un vase de fleurs languissantes et mortes,
Elle verse de l’autre une cruche de pleurs,
Et d’un voile tissu de vapeur et d’orage,
Couvrant ses cheveux d’or, découvre en son visage
Tout ce qu’une âme sent de cruelles douleurs.
Luigi TANSILLO.
Adapté par François de MALHERBE.