Gaspard et Marguerite

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Fanny MESSAGEOT, dame de TERCY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

QUEL est le voyageur qui, en parcourant les montagnes du Jura, n’ait pas remarqué, dans la partie la plus voisine de la Suisse, le joli village de M....., que ses prairies, ses bois, ses lacs, rendent si riant et si pittoresque ? et qui, dans ce village, ne connaît l’aveugle Gaspard et sa bonne femme Marguerite ? Pas un petit garçon, quelqu’étourdi qu’il soit, qui ne se range respectueusement pour les laisser passer, lorsqu’ils vont ensemble le dimanche à la messe de paroisse ; pas une ménagère qui ne s’empresse d’offrir à Marguerite l’un des gâteaux dont elle a coutume de régaler sa famille aux jours des grandes solennités de l’église ; pas un fermier qui ne soit fier de fournir sa part du froment qui sert à la provision du paisible et pauvre ménage. On les aime, on les respecte ; mais on les plaint, lorsqu’on se rappelle leur histoire.

Gaspard et Marguerite s’aimaient dès l’enfance, et comme ils étaient tous deux pauvres et tous deux orphelins, personne ne s’opposa à leur mariage, qui allait être conclu, lorsque Gaspard, en faisant jouer une mine pour tirer de la pierre d’une carrière, fut blessé, et si grièvement qu’après de longues et cruelles souffrances il demeura aveugle. Alors il dit à Marguerite : « Laisse-moi, épouse un homme qui puisse te gagner du pain ; le petit garçon de notre voisin Pierre me conduira pour mendier le mien ! – Que je te laisse ! s’écria Marguerite, et si le malheur fût tombé sur moi, m’aurais-tu donc abandonnée ? – Dieu le sait ! dit Gaspard, en élevant vers le ciel ses yeux qui ne le voyaient plus, Dieu le sait ! » Peu après, leur mariage fut célébré. Il y eut bien quelques femmes qui trouvèrent que Marguerite faisait une folie, mais, en général, son action fut approuvée ; et dès lors sa tendresse pour son mari, son assiduité au travail, l’honnêteté et la piété de tous deux les ont rendus des objets de vénération peur tout le pays. Les habitants de M..... ne manquent pas de conter aux voyageurs l’histoire de Gaspard et de Marguerite, et d’ajouter, avec complaisance, qu’ils n’ont jamais manqué et ne manqueront jamais de rien.

 

 

 

Fanny MESSAGEOT, dame de TERCY.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1826.

 

 

 

 

 

 

 

 

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