La veuve
Pauvre petite veuve ! oh ! je la vois toujours
Pleurer l’époux chéri mort depuis peu de jours.
Elle avait apporté des violettes de Parme
Sur lesquelles fondait en tombant, chaque larme,
Après avoir glissé sur ses traits sans couleur,
Marqués profondément du pli de la douleur.
Qui n’eût gémi devant cette enfant déjà veuve !
Ses fiévreux baisers dévoraient la croix neuve ;
Lasse, elle assujettit contre des rosiers blancs
Son offrande funèbre, et de ses doigts tremblants
Suspendit, arrangea des couronnes perlées
Posées là par les deux familles désolées.
Puis rejetant son crêpe au-dessus de ses yeux
Limpides, flamboyants comme le jour aux cieux,
Elle s’agenouilla sur la nouvelle tombe,
Abattue, inclina sa gorge de colombe,
Et se figurant seule entre les deux chemins,
Sur ses coudes croisa ses frémissantes mains.
Alors, dans le silence affreux du cimetière
J’entendis éclater son âme tout entière :
– « Dors, mon doux bien-aimé, dit-elle ; ton sommeil
Ignore le chagrin qui me tient en éveil.
Va, si pour étourdir mon affolante peine
Je pouvais partager un peu ton lit de chêne,
Comme j’y descendrais ! Je n’y puis plus tenir,
Je me sens à moitié morte de souvenir,
Par quelle expression dire ce que je souffre ?
Pour moi ta perte est plus qu’un vide, c’est un gouffre.
Le tonnerre n’est pas si prompt à se ruer
Sur une tête, aussi voulus-je me tuer.
Afin de me donner un sinistre courage,
Mettant les blancs atours de notre mariage,
Je me vis en linceul des chevilles au col,
Et tombai d’épouvante, inerte sur le sol.
Dans le déchirement d’un désespoir féroce,
Folle, je lacérai cette parure atroce.
Tiens ! j’allais me frapper au cœur, là, sous le sein,
Quand j’entendis vagir et sangloter soudain.
C’était un nouveau-né dont la mère était morte,
Pauvre orphelin bâtard qu’on jetait à la porte
Pour mener où, Dieu sait ? mais plutôt au cercueil.
Je retins par pitié la femme sur mon seuil.
Alors en moi se fit un virement étrange :
Ayant abandonné l’amie, j’adoptai l’ange !
Je l’ai prise avec moi, cette arme, la voici !
J’ai peur d’elle à présent ; vois, je l’enterre ici !
Mon devoir est tracé, je suis prête à le suivre,
Je vivrai sans me plaindre autant qu’il faudra vivre.
Au revoir, cher aimé ! je reviendrai souvent
Te parler à toi mort, de mon petit vivant. »
La veuve se leva sombre ; mais sans mollesse ;
Elle courut, craignant un retour de faiblesse,
Belle de dévouement, moins en noir désormais.
En voyant s’éloigner de mes yeux pour jamais
Ce visage expressif et poignant d’infortune,
Ému, je m’écriai : – « Cette femme en est une ! »
Madame de TERSAC, Au gré du souffle, 1903.