Robert et Clairette
BALLADE
par
Christoph August TIEDGE
UN vent frais parcourait la plaine ; mais il faisait lourd sous le feuillage. Les rayons du soleil couchant éclataient rouges parmi les rameaux, et le chant du grillon interrompait seul le religieux silence du soir.
La nature s’endormait ainsi dans son repos, quand Robert et Clairette dirigèrent leur promenade vers la source de la forêt, où ils avaient naguère échangé de tendres serments : c’était pour eux un lieu sacré.
Combien il s’était embelli depuis le jour de leur union ! Mille plantes y avaient fleuri, et la source s’en éloignait à regret, toute couverte de feuilles odorantes : douce retraite pour le voyageur qui venait parfois s’y reposer avec délices.
Et le rossignol chanta, et l’écho après lui, quand les époux entrèrent dans le bocage ; la pleine lune leur sourit à travers les branches des ormeaux, et la source les salua d’un murmure joyeux.
Clairette cueillit deux fleurs pareilles ; puis, les livrant au cours de l’onde, les suivit des yeux avec crainte ; mais, bientôt, l’une se sépara de l’autre, et elles ne se rejoignirent plus.
« Oh ! soupira Clairette tremblante, vois-tu, mon bien-aimé, les deux fleurs qui cessent de nager ensemble, et puis l’une qui disparaît ?
– Là-bas, dit Robert, elles vont se réunir sans doute. » La jeune fille cacha de ses mains son beau visage ; et la lune sembla la regarder tristement, et le grillon chanta comme s’il gémissait. « Ma Clairette, dit Robert, oh ! ne pleure donc pas ; le voile de l’avenir est impénétrable. »
Six mois s’étaient écoulés, lorsque la guerre éclata et appela aux armes le jeune époux. « Ma bien-aimée, s’écria-t-il, je te serai toujours fidèle. » Et il se prépara au départ.
Mais elle, versait des torrents de larmes. « Bons soldats, s’écriait-elle, mon Robert sait aimer et ne sait pas tuer ; ayez pitié de lui et de moi ! » Vaines prières ! Le devoir est de fer pour ces hommes, et ils ont brusquement séparé les deux époux.
La jeune fille abandonnée gémit bien douloureusement ; elle suivit des yeux son ami, qui, près de disparaître, agitait un mouchoir blanc, l’appelant encore, d’une voix pleurante ; et elle ne le vit plus.
Tous les soirs, elle quitte la maison de sa mère, et, traversant les ombres de la nuit, elle va s’asseoir sur la montagne ; là, sans cesse, elle étend les bras vers le chemin qu’il a suivi, mais ne le voit point revenir.
La source du bocage coule et coule toujours ; l’été n’est plus, l’automne commence ; le soleil se lève, se couche ; les nuages et les vents passent sur la montagne... Le bien-aimé ne revient pas.
La pauvre fille se fanait comme une rose ; elle retourna un jour à la source de la forêt. « C’est ici, dit-elle, ici que j’ai vu la fleur disparaître... Où donc est l’autre, maintenant ? En quel lieu Robert et Clairette se réuniront-ils ? »
Et, succombant aux chagrins de son cœur, elle tomba mourante sur la rive ; mais des images célestes l’environnèrent à son dernier moment ; le baiser d’un ange lui ravit son âme, et la purifia des peines de ce monde.
Un vent léger murmure seul autour de son tombeau, où deux tilleuls jettent leur ombre ; c’est là qu’elle dort saintement sous un tapis de violettes.
Un an écoulé, Robert revint avec des yeux où la vie s’éteignait, et des blessures, fruits d’une guerre sanglante : sa bien-aimée n’est plus, il l’apprend et s’en va reposer auprès d’elle.
Tous les soirs, une blanche vapeur s’élève de leur tombe ; une jeune bergère la vit une fois lentement s’entrouvrir, et crut y distinguer deux ombres dont la vue ne l’effraya pas.