Le roseau

 

 

 

QUAND soufflait un bon vent, croyant percevoir en soi l’agilité de l’oiseau, pour se donner de l’élan, allègrement s’agitait le roseau.

 

Ces vigoureuses poussées vers la lumière, ces exaltantes initiatives lui venaient d’un ressort secret. Tour à tour bercé et secoué par une main invisible, il s’adonnait au mouvement qui de là-haut préside au destin des êtres et des choses.

 

Quand il s’inclinait devant l’Éternel, son chant n’était que faible murmure ; mais quand, à son murmure s’ajoutait celui des autres, le souffle qui courait à travers les ramures s’enflait comme un hymne de gloire.

 

S’il se mirait dans l’étang, penché comme l’orante au Gloria Patri, grâce à lui prenait vie l’étang ; pour avoir perçu la lumière du ciel au fond de l’eau, il oubliait sa faiblesse et la lueur rayonnant de lui, il se disait que la vie est bonne qui lui permettait de rayonner la lumière.

 

Le roseau a grandi. De nain qu’il était, il est devenu moins petit ; mais il demeure le roseau, sa voix est tout intérieure. S’il tente de bramer comme un chêne, il a tôt fait de se rendre à l’évidence que seules savent bramer les hautes futaies, qui versent l’ombre, tamisent le soleil, en adoucissent les brûlures ; seules les branches feuillues savent comme de grandes mains ouvertes apaiser, bénir, proclamer le silence.

 

Le roseau voulait pourtant accomplir lui aussi de grandes choses. Il aurait voulu saluer le passage de Notre Dame acclamée par les foules. Y aurait-il seulement quelques fleurs pour l’Arche d’Alliance sur le Pont des Châtelets ? La pluie tenace tombait toujours avec le même bruit de marée.

 

Dès que se fit entendre le murmure flottant des avé, le roseau devenu sourd au bourdonnement des insectes, tout à la joie de se trouver là sur le bord du chemin où défilait la masse chantante, sentit s’agiter en lui le frisson de ferveur qui les gagnait tous. À ciel ouvert, il rendit hommage à la Mère de Dieu.

 

Puis s’écoula le cortège, le laissant béat et radieux. Et depuis, jamais plus il ne plie sous le poids des jours cendrés, jamais il ne ploie sous le poids d’hier. Il s’exerce à ne porter en soi que le souvenir d’heures lumineuses.

 

Dès la première clarté, la lueur qu’il entretient miroite sur le sol tel un parement d’ombre dentelée. Parfois, au bord du jour montant, on voit encore ruisseler au bout de ses doigts la rosée du matin.

 

L’attente du jour nouveau, l’appel du mouvement qui le versera au cœur d’une belle journée l’incite à accueillir chaque heure avec sa lumière particulière, à réchauffer d’optimisme les heures ternes, celles qui, faute de sève, menacent de s’éteindre.

 

Soit que monte ou descende le jour, soit que s’allume ou s’éteigne la nuit, le roseau interroge le ciel, il s’imbibe de lumière ou de rosée et dans le silence il psalmodie sa prière à sa façon.

 

Il rend gloire à Dieu, car tout agitée que semble être sa vie d’arbrisseau, elle se rassérène dès qu’il prête l’oreille aux bruits familiers. Tout de fragilité, il est l’outre profonde où goutte à goutte, descend l’eau du ciel, où dans une faible mesure pénètre la lumière. Les parlers onctueux et les hauts pensers des hommes ne naissent pas autrement.

 

Bon an, mal an, s’abandonne le roseau ; il oscille mais demeure le même. Ne lui en demandons pas davantage. Au milieu des autres, ses frères et sœurs, il regarde passer l’existence. La sienne à sa manière, depuis le passage de Notre Dame, prépare l’hymne des grandes résurrections.

 

 

Marie-Rose TURCOT.

 

Paru dans la revue Marie en 1947.

 

 

 

 

 

 

 

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