Trois jeunes filles
Trois filles, depuis leur terrasse,
Regardaient à leurs pieds le val,
Quand avec sa grande cuirasse
Arriva leur père à cheval...
– Seigneur, souffrez qu’on vous embrasse,
Bien sages nous avons été ;
Que nous avez-vous rapporté ?
– À toi, ma fille en robe jaune,
J’ai bien pensé cette fois-ci.
Tu n’aimes que ce qui fleuronne,
La parure est ton seul souci.
Voilà donc ce que je te donne :
Pour te l’avoir, ce beau collier,
J’ai mis à mort un chevalier.
Ce collier d’or, la damoiselle
Le glisse autour de son cou blanc,
Puis descend, et sous la tourelle,
Trouve un mort couché sur le flanc.
– Tel qu’un voleur, s’écria-t-elle,
Te voilà, noble fils des preux ;
Te voilà, mon bel amoureux ! –
Entre ses bras la bonne fille,
À l’église le descendit.
Et dans son tombeau de famille,
Respectueuse, l’étendit.
Puis serrant la chaîne qui brille
Autour de son cou parfumé,
Elle meurt sur le bien-aimé.
Deux filles, depuis leur terrasse,
Regardaient à leurs pieds le val,
Quand avec sa grande cuirasse
Arriva leur père à cheval...
– Seigneur, souffrez qu’on vous embrasse,
Bien sages nous avons été ;
Que nous avez-vous rapporté ?
– À toi, ma fille en robe verte.
J’ai bien pensé cette fois-ci ;
Ta meute est toujours en alerte,
La chasse fait ton seul souci.
Cet épieu te convient donc, certe.
Pour en devenir possesseur,
J’ai mis à mort un fier chasseur. –
Sa main, que l’épouvante glace,
Prend l’épieu, puis dans la forêt,
En criant : Mort ! pour cri de chasse,
La pauvre fille disparaît.
Sous un tilleul enfin, bien lasse,
Elle trouva son doux ami
Du sommeil de mort endormi.
– Sous cet arbre si l’on t’égorge,
Tu n’y mourras du moins pas seul ! –
Dit-elle, en dressant sur sa gorge
L’épieu qu’appuyait le tilleul...
Sur eux niche le rouge-gorge,
On voit le tertre se bomber
Et les feuilles vertes tomber...
Une fille, sur sa terrasse,
Regardait à ses pieds le val,
Quand avec sa grande cuirasse
Arriva son père à cheval...
– Seigneur, souffrez qu’on vous embrasse,
Bien sage j’ai toujours été ;
Que m’avez-vous donc rapporté ?
– À toi, ma fille en robe blanche,
J’ai bien pensé cette fois-ci ;
L’or ne t’est rien, mais en revanche,
Les fleurs font ton plus grand souci.
D’un blanc d’argent celle-ci tranche ;
Pour la prendre dans son panier,
J’ai mis à mort un jardinier.
– Qu’avait donc fait cet homme-lige
Pour l’assommer ainsi qu’un chien ?
Ses fleurs vont sécher sur la tige ;
Lui qui les arrosait si bien !
– Il m’osait refuser, te dis-je,
Cette fleur qu’ailleurs nul n’avait,
Et qu’à sa belle il réservait. –
Elle prit enfin la fleurette,
L’attacha sur son sein brûlant ;
Puis dans un jardin la pauvrette
S’alla promener à pas lent.
Un monticule au fond l’arrête...
De beaux lis s’y berçaient au vent,
Elle se reposa devant.
– Que n’ai-je au moins l’arme cruelle
De mes pauvres sœurs, à présent :
Car cette fleur si douce et belle,
Ne peut, elle, verser de sang...
Longtemps ainsi la fixa-t-elle,
Et quand la fleur mourut, voilà
Que son âme aussi s’envola.
Ludwig UHLAND.
Traduit de l’allemand par Max Buchon.