L’homme sans tête

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jean VARIOT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

IL EST DES GENS qui disent avoir vu au crépuscule un homme sans tête enveloppé d’un manteau noir, et qui cherche sa route à la manière des aveugles. Il tâtonne avec un bâton ; il hésite en tous sens, il se heurte aux pierres et aux troncs d’arbres.

Sa course est néanmoins rapide. Il parcourt les routes, tous les chemins et raidillons, tous les sentiers perdus et secrets, connus des seuls animaux sauvages.

Soit par la neige et l’aigre bise, soit par les pluies, soit par le vent, soit par les nuits toutes chargées du poids de l’été, il va toujours sans le moindre répit.

On le voit aux solitudes du champ du Feu, aux clairières du Hohwald, sur les pentes du Schneeberg et les montées de Ribeaupierre, et aussi dans la vaste plaine, parmi les houblonnières et les champs opulents.

Derrière lui, une femme court et crie. Elle tient en sa main une tête par la chevelure, une tête dont les yeux sont clos, le front est blêmi, la bouche est serrée, et par le cou le sang s’échappe.

Parfois, elle croit atteindre l’homme, mais d’un bond, il saute en avant, alors elle repart et pleure :

« Aie pitié de moi ! L’homme de geôle qui te gardait est mort !… Le bourreau qui a fait rouler ton chef comme une boule est mort… Les soldats qui ont vu le crime sont morts !… Eux connaissent le repos. Et moi, qui ai tout ordonné et qui suis la coupable, je suis condamnée à te suivre toujours. Reprends ta tête… Aie pitié de moi ! »

Mais lui s’enfuit au loin ; et à l’aurore quand l’horizon pâlit, quand la rosée mouille la terre, quand les coqs criards annoncent l’heure de saint Pierre, le bruit de ses pas se perd dans la direction des contrées orientales.

On dit qu’Hérodias, la nuit, implore saint Jean-Baptiste.

 

 

 

Jean VARIOT,

Légendes et traditions orales d’Alsace,

Crès, 1919.

 

 

 

 

 

 

 

 

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