Le moine de Schwarzenbourg

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jean VARIOT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

UNE VIEILLE FEMME se sentant malade, une nuit, envoya sa fille chercher le médecin à Munster. Chemin faisant, la petite Gretlé fut surprise par un terrible orage, comme elle passait contre la ruine de Schwarzenbourg, autrement dit le Château-Noir. Elle courut s’abriter sous une voûte, malgré la peur qu’elle ressentait dans ce lieu solitaire. Et soudain, au milieu du fracas du tonnerre et de la pluie diluvienne, un cri formidable retentit et la douce Gretlé aperçut tout près d’elle deux yeux lumineux qui la fixaient.

Elle s’appuya contre la muraille, perdant connaissance, et un hibou battant des ailes se posa sur sa poitrine et lui donna un baiser. Quand elle revint à elle, un moine, recouvert d’une robe blanche aux plis nombreux, guettait son réveil. La lune à présent et les étoiles éclairaient la ruine. Le moine sourit avec bonté et dit à Gretlé :

« N’aie pas peur, innocente fille. Puisque tu n’as pas craint la solitude de Schwarzenbourg, tu vas recevoir la récompense que le Ciel te destine. »

Il dit, et prenant doucement Gretlé par la main, il la mena dans une salle où voletaient les chauves-souris et où s’accumulaient d’incroyables richesses, des montagnes de lingots d’or, de diamants et de perles. Le moine reprit :

« Toutes ces richesses t’appartiennent. Elles sont le prix du sang : mais ton innocence et ta virginité m’ont sauvé ! L’enchantement est terminé. Or sache que pour garder la possession de cet or, de ces perles et de ces diamants, tu dois rester virginale, sans contact impur d’un homme contre ton corps ! »

Il s’agenouilla, baisa la main de Gretlé et disparut.

Gretlé courut à Munster et ramena le médecin qui guérit sa mère. Elle le paya d’une perle. Le médecin qui était venu de mauvaise grâce, sachant qu’il allait chez de pauvres gens, ne revint pas de son étonnement et se confondit en remerciements.

Gretlé était à présent beaucoup plus riche que beaucoup de reines : elle fit bâtir, sur l’emplacement de la ruine, un palais splendide et tel qu’aucun château d’alentour ne pouvait lui être comparé. Les peintres et les sculpteurs d’Italie ornèrent toutes les pièces, où des musiciens et des chanteurs charmaient les oreilles de tout venant. Alors, il n’y avait plus de Gretlé, mais bien dame Marguerite dont les princes assiégeaient le cœur.

Quatre années se passèrent et Marguerite refusait tous les partis. De partout, des ambassades de monarques puissants venaient lui demander sa main : elle refusait toujours et l’on parlait dans le vaste monde de la châtelaine dédaigneuse du val de Saint-Grégoire.

Et un chevalier d’aventure demanda un soir l’hospitalité au château. Il y avait grande fête, ce jour-là, et Marguerite trônait au milieu d’une cour d’adorateurs. Revêtu de sa pauvre armure, le soldat errant se tenait dans un coin, n’osant approcher. Ce que voyant, la maîtresse du lieu lui demanda de s’avancer, et elle lui demanda d’où il venait. Il répondit que, durant bien des années, il avait fait la guerre contre les Turcs ; qu’il avait secouru des peuples opprimés ; qu’il avait souffert de la faim et de la soif ; et qu’il s’en retournait dans son pays. Les assistants, tous somptueusement vêtus, regardaient de leur haut ce chevalier sans sou ni maille, mais la belle Marguerite sentait naître en son cœur de l’amour pour lui.

Le lendemain, comme il allait prendre congé, elle lui demanda de rester au château, lui disant que son intendant était vieux, qu’il voulait prendre du repos, et qu’elle serait heureuse qu’un bon soldat le remplaçât. Il accepta joyeusement, et remplit ponctuellement ses fonctions d’intendant.

À quelque temps de là, on apprit avec scandale qu’elle était fiancée avec son intendant. Un jour que de jeunes seigneurs, jaloux de cet intrus, tenaient contre lui de mauvais propos à Madame Marguerite, il surgit tout à coup parmi eux, leur ordonna le silence, et déploya devant eux un grand parchemin qui prouvait sans discussion possible qu’il était le descendant en ligne directe des anciens possesseurs de Schwarzenbourg. Force fut aux bavards de s’incliner très bas devant lui.

Cependant on prépara les noces. La chapelle du château fut ornée de plantes et de fleurs de tous les pays, et, au jour fixé, au milieu d’une assistance accourue de toutes les villes d’Alsace, Madame Marguerite marcha vers l’autel au bras de l’élu de son cœur. Mais, comme le chapelain leur faisait prêter serment, un coup de tonnerre éclata dans le ciel pur, Marguerite tomba, blanche comme les pierres. Le fiancé avait disparu. À sa place, un moine vêtu de blanc se tenait agenouillé et récitait les prières des morts.

 

 

 

Jean VARIOT,

Légendes et traditions orales d’Alsace,

Crès, 1919.

 

 

 

 

 

 

 

 

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