Ismaël
I
Mon Dieu ! pas une brise, et le soleil qui brûle...
Le sable est un charbon qui fume incandescent...
Là-bas, l’horizon fuit... sans bornes, il recule !...
À peine un mamelon qui monte et redescend !,,,
Nul cèdre, nul palmier n’étendent leur ombelle ;
Ni l’aigle ni l’autour ne planent dans les airs ;
Pas une gouttelette au pis de la chamelle,
Dont les naseaux en feu lancent quelques éclairs.
Pas un lion ne rugit... ; tout se tait... Le silence
Nous couvre de sa chape, ainsi qu’un plomb fondu...
Moi seule, pauvre mère, en ce désert immense,
Je fais parler mon cœur sans qu’il soit entendu !
Si ce n’était que moi, j’endurerais ma peine,
Et je t’en bénirais, ô Dieu fort d’Israël !
Mais mon fils va mourir de soif, car son haleine
S’éteint, et je n’ai plus que l’ombre d’Ismaël...
Tout brûle autour de lui ; cette enveloppe frêle,
Ce corps si gracieux, cette forme d’enfant,
De la mort sent déjà l’affreux battement d’aile
Et se glace au milieu de ce sable étouffant.
Ah ! si mon sang pouvait lui rendre encor la vie !
Je m’ouvrirais la veine, et, lui versant le mien,
Je m’écrîrais, Seigneur, en mon âme ravie :
« Prends le corps de sa mère et ranime le sien ! »
Mais à quoi bon lasser ta divine clémence !
Pourquoi sonder en vain tes décrets éternels ?
Oh ! pardonne plutôt à la mère en démence,
Et reprends sa dépouille et ses restes charnels ! »
II
Dans sa morne douleur ainsi tout absorbée,
Agar l’Égyptienne invoquait le Seigneur.
Tout à coup une voix se fit dans Bersabée ;
Cette voix pénétra jusqu’au fond de son cœur ;
« Agar, relève-toi, ton épreuve est finie !
Quand ton fils Ismaël s’en allait trépasser,
Sa jeune âme implora la clémence infinie,
Et le vœu de l’enfant put se faire exaucer.
Va, pour le ranimer, va remplir l’outre vide,
Cours au puits abondant qui s’en vient de jaillir ;
Hâte-toi d’abreuver cette lèvre livide
Qui sous un sang vermeil va bientôt tressaillir. »
À cet ordre, d’en haut la mère transportée
Obéit en tremblant d’espérance et d’effroi ;
Et, par un tourbillon de la nue apportée,
La voix du ciel ajoute : « Ismaël sera roi ! »
III
Seigneur, jusqu’où s’étend votre divine grâce ?
Le faible et le puissant par vous sont entendus ;
Agar, la pauvre esclave, a vu grandir la race
D’Ismaël, roi guerrier, chef de douze tribus.
Au pays de Pharan toutes eurent des villes
Portant leurs noms, depuis Nabajoth à Jethur,
Caravanes, troupeaux s’en allant à la file
Des plaines d’Hévila jusqu’aux portes de Sur.
Ismaël mourut vieux comme Abraham, son père ;
Il fut craint comme lui, comme lui vénéré.
Près d’Agar et Sara son corps fut mis en terre,
Non loin du champ d’Éphron, vis-à-vis de Mambré.
Théodore VÉRON, Les mélodies, 1870.